Addenda (Lussac)

Vers l’an 1420, le comté du Poitou fut donné par saint Louis à son frère, Alphonse, qui introduisit dans cette pro­vince les sages méthodes de gouvernement préconisées par le roi. Une lettre de sa correspondance administrative con­cerne le bourg de Lussac-les-Eglises*.
Cette lettre, datée du 12 déc. 1269, est adressée par le comte de Poitiers à son clerc Robert, archiprêtre de Romorantin. Alphonse a envoyé dans la province deux frères mineurs pour réprimer les exigences tyranniques de ses prévôts. Les commissaires n’ayant pu obtenir la compa­rution de tous les officiers accusés de malversation, il donne à son clerc tous pouvoirs pour poursuivre les contu maces ; “ procédez durement contre eux, lui mande-t-il, afin que par cet exemple, les autres prévôts soient détournés de toute exaction ou extorsion. ”
Il lui rappelle qu’au sujet du discrédit ? (disclamatio) des monnaies, les prévôts n’ont pas le droit de percevoir l’amende qui appartient à lui seul. Il le charge d’informer contre ces prévôts et lui signale tout particulièrement celui de Luçat de Ecclesiis qui, dit-on, a levé sur cette ville une somme de 15 l. qu’il devra se faire remettre. Le sénéchal du Poitou devra en être informé.
Cette pièce présente encore un autre intérêt. Elle montre que, dès cette époque, Lussac fait partie du comté de Poitou et non de celui de la Marche.

*  Publiée par M. Molinier, t. 1, p. 691.

A propos du passage du Prince Noir à Lussac, M. Antoine Thomas a bien voulu nous signaler une chronique anglaise qui donne sur cet événement des détails circonstanciés*.
L’ensemble de l’itinéraire permet sans aucun doute de substituer Lussac à Luchank, prononciation altérée par le moine anglais, substi­tution que la pièce, qui nous avait déjà révélé ce passage, confirme pleinement.
Sur cet itinéraire du prince de Galles, v. Le Prince Noir dans la Marche, par M. Antoine Thomas (Echo de la Creuse du 23 déc. 1900) l’édition de Froissard, par M. Siméon Luce, t. V, p.2 ; le P. Denifle, La désolation des églises de France pendant la guerre de Cent Ans, t.II, p.118
Cette chronique, due à un moine de Malmesbury, qui suivait le prince dans ses chevauchées, nous apprend qu’au cours de son expédition, qui devait aboutir à Maupertuis, l’armée anglaise passa par Rochechouart, Bellac, et arriva au Dorat le mardi 17 août 1356; l’église, qui était fortifiée, résista quelques heures et se rendit dans la soirée. Le même jour l’avant-garde, continuant sa route vers le Nord, s’empara par assaut de deux châteaux très fortifiés que le chroniqueur ne nomme pas, mais que nous croyons être Tersannes et La Mothe de Tersannes, voisins d’environ 1000 à 1500 m. Le prince coucha dans l’un d’eux le lendemain et le ven­dredi 19, il fit son entrée dans Lussac, où, dit notre moine, il trouva une grande quantité de poissons*.
Il y passa la nuit, puis le lendemain, partant pour Saint-Benoit-du­Sault, il incendia la ville en guise d’adieu. Parce que l’on sait des habitudes du prince, on peut assurer que Guy IV de la Trémoille, alors seigneur de Lussac, tenait le parti du roi de France.

*  Voici le texte de cette chronique, publiée à Londres eu 1863, par Frank Scott Haydon
17 “ Eidem die prima warda cepit duo castella fortissima per insal­tum, ubi princeps pernoctavit per diem jovis sequentem.
19 “ Venit princeps ad villam quod vocatur Luchank ubi invenit magnam copiam piscis et ibi pernoctavit et in crastino villam combuxit. (Cf. Eulogium, t. III, p. 216 à 222).
**Ce poisson se trouvait sans doute dans le vivyer de Lussac, que mentionne une pièce de 1392 (v. plus haut).

 

Pour des temps plus modernes, M. l’abbé Nadaud, curé-doyen de Lussac, nous a confié un nouveau registre révolutionnaire qui comble en partie les lacunes de notre récit pour cette période*.
Ce registre renferme les délibérations du corps municipal du 12 pluv. an II au 5 messid. an III. Les questions si importantes des subsistances tiennent dans ses pages une place considérable.
Nous analyserons sommairement les principales délibérations.

* Nous avons alors fait remarquer qu’il existait dans notre récit une lacune allant du 30 fruct. an II au 19 brum. an IV ; cette commu­nication en comble une grande partie. Il ne nous manque plus que les trois derniers mois de l’an III et vendém. an IV.

Le 12 pluv. an II, la municipalité arrête que le nom superstitieux de Lussac-les-Eglises sera remplacé par celui de Lussac la Patrie.
Un arrêté du 9 de ce mois du département de la Creuse, qui était, comme la Haute-Vienne, en proie à la disette, avait désigné Lussac et Châteauponsac comme entrepôts pour les grains achetés dans la Vienne.
Le 3 ventôse, la municipalité met à la disposition des commissaires envoyés par la Creuse le château de L’Age-Bernard pour leur servir de magasin.
Le 28 vent., on procède au recensement. des pauvres de la commune. Ils sont au nombre de 117, dont 68 adultes.
Le 16 germinal, un atelier de salpêtre est établi par Luc Deguercy, agent général du salpêtre pour le district, dans la ci-devant chapelle d’Etienne ; 12 barriques sont disposées pour laver les terres et les cendres. Cet atelier, comme, du reste, tous ceux de la région, ne donna que des déboires. Ce n’était pas cependant par la faute de Deguercy, qui gourmandait les maires de leur peu d’empressement, témoin sa lettre circulaire adressée le 15 frim. an III aux municipalités “ La Providence, y dit-il, nous a favorisé de trouver le salpêtre pour détruire nos ennemis ; elle nous a, en même temps, procuré le moyen de les réduire en poudre par le moyen des cendres ; cette matière précieuse se trouve dans la majeure partie de la République, mais en vain, puisque vous en faites un mépris. La Nation, la Convention, la commission des armes ne ces­sent de vous demander des cendres pour vous conserver. Vous êtes sourds à toutes ces réclamations ”. Il poursuit en leur indiquant les moyens pratiques pour recueillir les terres salpêtrées, puis termine :  “ Cette lettre n’est autre chose que pour vous préserver de vos ennemis et conserver nos pro­priétés ”*.

*  Le 23 vent. an III, le district considérant que les terres salpêtrées sont rares dans le pays, que depuis un an tous les ateliers n’ont pu produire que 7676 l. de salpêtre, qui est revenu à 72 s. la livre, tandis que le prix fixé par la loi est de 24 s., ordonne la fermeture de ceux-ci. (L. 551).

La disette de l’an II entraîna une hausse de la main d’œuvre agricole : le 27 prairial an II, la municipalité décide que le tarif des salaires arrêtés en 1790 sera uniformément augmenté d’un tiers. Ce tarif de 1790 était tel :faucheurs, 20 s. ; faneurs, 12 s. ; faneuses, 4 s. ; pour battre, jusqu’à la Saint-Martin : hommes, 15 s. ; femmes, 8 s. ; pareils prix pour les moissonneurs ; ensemencements, 15 s. ; tous ces salaires s’entendent les ouvriers nourris. Charrois à 1/4 de lieu, 20 s. D’une autre délibération de ce mois, il résulte que dans les ateliers de charité les hommes touchaient 10 s. par jour, les femmes 6 et les enfants 4. Les paveurs sont payés 30 s.
Nous avons vu précédemment qu’il n’existait à Lussac qu’un seul four, auquel, en vertu du droit féodal, tous les habitants étaient tenus de porter leur pain en payant une redevance au profit du seigneur. Il est curieux de constater que la suppression de la féodalité ne changea en rien les habitudes de la population, qui continua à porter son pain en payant la même rétribution au particulier qui avait acquis de la Nation le four banal confisqué sur le seigneur. En frimaire an III, à la suite d’un changement de propriétaire, le bruit se répandit que le nouvel acquéreur avait l’intention de fermer le four, d’où grand émoi chez les habitants, qui portent leurs doléances à la municipalité. Celle-ci, réunie le 10 frim., considérant qu’il est instant qu’il n’y ait pas d’in­terruption dans la cuisson du pain, qui serait exposer le bourg à la famine, si on fermait le four, les particuliers n’ayant pas eu le temps d’en faire construire, arrête que l’acquéreur le tiendra ouvert pendant six mois en percevant la rétribution ordinaire augmentée d’un tiers vu l’urgence, elle nomme d’office un fournier.
Le 20 floréal an II, la municipalité, toujours hantée par la peur de la famine, prend des mesures sévères pour protéger les récoltes en chargeant les gardes-messiers de pour­suivre avec les dernières rigueurs les propriétaires des bes­tiaux en agat.
Le 22 du même mois, la garde nationale du canton est réorganisée par le juge de paix. On forme cinq compagnies, plus une section et une escouade.
A une réquisition des prunes, il est répondu le 1er  prair. qu’il n’en existe plus, qu’elles ont été consommées pendant qu’on manquait de pain.
Le 22 fruct., an II, on procède à un recensement des grains, et comme des renseignements recueillis on prévoit une nouvelle disette, la municipalité crée un comité de subsistances qui aura pour mission de rechercher les denrées et de les distribuer.
Dans la peur de manquer, chacun conservait jalousement son grain, et dès le commencement de vendém. an III, on constate que, malgré les arrêtés du Comité de salut public, les marchés sont déserts. Aussi, la réquisition de 242 quin­taux de seigle, faite pour La Souterraine à cette époque, fut-elle accueillie par un refus général. Après avoir employé la persuasion et les menaces, la municipalité, sous la pres­sion du district, dut recourir à la force. Un détachement de la garde nationale est chargé, le 1er niv. an III, de passer chez les propriétaires pour se faire livrer les quantités qu’ils doivent fournir d’après l’état de répartition. La résistance avait duré plus de trois mois.
Cette résistance était justifiée. Le 5 du mois suivant, la municipalité constate que les particuliers ont à peine de quoi fournir à la subsistance de leurs familles pendant un mois. On décide de s’adresser aux voituriers qui ont cou­tume d’approvisionner le marché pour les prier d’amener tous les grains qu’ils pourront ; on fait appel également aux bons citoyens qui peuvent disposer de quelques quan­tités: à tous on promet que la garde nationale mobilisée protégera l’arrivée et la vente.
Le lendemain, on apprend que des voituriers sont arrivés avec un chargement de blé pour éviter des accaparements, on les requiert d’attendre au septidi, jour de marché, à midi, pour le mettre eu vente ; de plus, ou tiendra registre de ceux qui achèteront.
Quelques jours après, le corps municipal enregistre les plaintes des cultivateurs, qui se plaignent de manquer d’ins­truments aratoires en fer ; la semence de mars, disent-ils, va subir un grand retard si le district ne leur fournit pas ces outils.

Nous avons indiqué plus haut que le clocher de Lussac ne renferme qu’une cloche datée de 1789 ; les autres, pour obéir à la loi, furent descendues en floréal an II ; elles pesaient 1700 l., 300 et 160 l., plus une cloche de 60 l. provenant de Saint-Etienne ; elles furent conduites ensuite au Dorat, mais l’une d’elles, celle de 300 l., s’égara sans doute, car elle se trouve actuellement dans le clocher de Saint-Léger. Si l’on compare l’inscription publiée par M. l’abbé Lecler avec ce que nous avons dit sur la fonte des cloches de Lussac en 1789, on se rendra compte qu’il s’agit de la moyenne cloche.
En même temps la municipalité envoya au Dorat “ pour fabriquer des instruments nécessaires à terrasser nos ennemis ”, six chandeliers, un bénitier, un encensoir, une croix argentée, la chasse d’un reliquaire en plusieurs morceaux, le tout en cuivre et provenant de l’église.

Sous l’impression de la lecture d’une proclamation du représentant Charrier, la municipalité arrête, le 10 germinal an III :
1° tout citoyen qui se permettra de rassembler un certain nombre d’habitants sous prétexte de religion et publiquement sera dénoncé à la police correctionnelle ;
2° si le chef de l’attroupement refuse de se retirer, il sera sur le champ arrêté et la loi martiale sera proclamée ; tous les signes particuliers à un culte seront abattus et détruits.
Le 21 floréal an III, le conseil examine un projet de recons­truction du pont de la Trigale emporté par les inondations. Depuis cet événement, les relations de Lussac avec Magnac, le Dorat, Châteauponsac et autres communes sont rompues. De plus, l’envoi des bestiaux à Paris a cessé. Il est arrêté qu’on demandera 3000 l. au district et que le surplus sera fourni par les habitants. Le district donna son autorisation le 26 prairial.

Dans la notice sur la famille Aubugeois, il faut lire, n. h. Pierre Aubugeyz ; ajoutons que non loin de Lussac, à Thollet, on trouve dès 1335 une famille Albigeois qui a bien pu se transformer plus tard en Aubugeois. (Arch. dép., prieuré de Thollet)

Le Pont-Berthin, moulin banal de la seigneurie de Lussac, men­tionné dès le XVe siècle. C’est actuellement le moulin de la Bergerie. Un plan du XVIIIe siècle indique que le grand chemin de Lussac au Blanc passait sur un pont en aval du moulin.

L’impôt du sang. — Dans une liste des personnes qui ont droit à des secours comme parents de défenseurs de la Patrie

(27 germ. au II), figurent Joseph Guillemin , père de Baptiste, mort au siège de Namur, et Jean Laurent, frère de François, décédé au siège de Maastricht.

Jean-Joseph Saulnier, né à la Coufaudière le 25 oct. 1754, était aumônier de l’hôpital de Blois au moment de la Révolution. Ayant refusé de prêter serment, il se cacha parmi les malades. Découvert par les administrateurs et traduit devant le tribunal révolutionnaire de Paris, il fut guillotiné le 30 oct. 1793*.

*  Cf. M. l’abbé Lecler, Martyrs et confesseurs de la foi du diocèse de Limoges pendant la Révolution française (Limoges, Ducourtieux et Gout, 1892-1904, 4 vol. in-8°, t. 1, p. 277).