La Terre aux Feuilles

La Vicomté de Brosse se composait de quatre châtellenies :

1° Chaillac (Indre, arrondissement du Blanc, canton de Saint Benoît du Sault), châtellenie sur le territoire de laquelle se trouvait Brosse, et qui resta toujours sous la domination directe de ses Vicomtes.
2° La Châtre au Vicomte (aujourd’hui la Châtre l’Anglin, dans le même canton de Saint Benoît du Sault), qui appartint, vers la fin du XIIe siècle, à Pierre de Brosse, frère cadet de Bernard III.
3° Vouhet (canton de Saint Benoît du Sault, commune de Dunet), châtellenie qui fut donnée en 1348 en apanage à Jeanne de Chauvigny, fille du Vicomte André II, lors du mariage de celle-ci.
4° Enfin La Terre aux Feuilles, vraisemblablement nommée d’abord Châtellenie de Mondon.

La Terre aux Feuilles, nous dit un arrêt du Parlement de 1401, important document dont nous aurons l’occasion de reparler plus longuement, était une notable Châtellenie, qui comprenait à l’origine 6 châteaux et 6 paroisses.
Au début, cette châtellenie avait appartenu à un seul seigneur puis, dans la suite, elle s’était divisée en plusieurs parts.

a. Quels étaient ces 6 châteaux ?

Deux documents, l’Arrêt du Parlement de 1401, ainsi qu’un mémoire produit au XVIe siècle par le Duc de Savoie Charles III, possesseur de la Châtellenie de Mondon, nous apprennent que La Terre aux Feuilles comprenait primitivement « six chastels ».
Avant de rechercher à identifier ceux-ci, il nous faut voir ce qu’étaient ces « chastels », antérieurement au XVe siècle, dans notre région.

« Chastel » est dérivé du mot latin « Castellum », lui-même diminutif de « Castrum », qui signifie « lieu fortifié ». C’est à l’origine un poste fortifié pour la défense d’un pays, un petit édifice fortifié. Dans notre région, au début du Moyen-âge, c’est la plupart du temps, une simple tour, à quelque distance de laquelle s’élève la maison d’habitation du châtelain, laquelle ressemble étrangement aux métairies du voisinage.
Ces tours, ou donjons, se sont en général élevés vers la fin du IXe siècle, au temps des grandes invasions, et cela très souvent sur l’emplacement d’anciennes tours romaines utilisées jadis comme postes par les troupes d’occupation ; parfois même ces donjons ne sont que ces tours antiques plus ou moins réparées ou agrandies. Tels quels, ces châteaux primitifs avaient l’aspect de « tours puissantes, rondes ou carrées, quelquefois triangulaires, dont le pied est entouré d’un amas de pierres et de terre qui leur forme une base conique tronquée ».
Telles étaient, par exemple, les Tours de Vouhet et de Ponseuil (canton de Saint Benoît du Sault, dans l’Indre, et jadis dans la Vicomté de Brosse) de Jançay, de Mondon et Jouac (dans le canton de Saint Sulpice Les Feuilles, en Haute-Vienne), que nous décrit M. de Beaufort. Ce ne fut que plus tard, à partir du Xe siècle et le plus souvent, du XIIe, que de véritables châteaux, plus importants, vinrent parfois remplacer ou compléter ces primitifs donjons.
Ces châteaux étaient en la possession de « Châtelains », seigneurs ayant le droit d’avoir château-fort et de rendre justice. Leurs terres constituaient des « Châtellenies ». Les châtelains inférieurs qui relevaient des ducs, comtes, barons et autres hauts seigneurs, n’avaient en principe que la moyenne et basse justice, et ce fut là la cause des différents qui, pendant des siècles, opposèrent les Vicomtes de Brosse, suzerains de la Terre aux Feuilles, aux divers seigneurs de cette région.
A la fin du XIVe siècle, notamment, un procès s’éleva entre Guy de Chauvigny, Vicomte de Brosse et les différents Seigneurs de la Terre aux Feuilles. Le Vicomte prétendait que, comme propriétaire de la Vicomté de Brosse, dans l’étendue de laquelle était compris la Terre aux Feuilles, il avait droit à toute la juridiction, sous l’hommage du Duc de Berry, comme Comte de Poitou.

Les Seigneurs de la Terre aux Feuilles, eux, exposaient qu’à l’origine, la Terre aux Feuilles qui était une notable châtellenie, comprenant 6 paroisses et 6 châteaux, avait appartenu à un seul seigneur ; dans la suite, elle s’était divisée en plusieurs parts et chacun d’eux, dans sa part, avait droit séparément à la basse et à moyenne justice, tandis qu’en commun ils possédaient la haute justice de toute la Terre aux Feuilles.

Pour l’exercice de la haute justice, ils étaient fondés d’avoir bailli, sergents et autre officiers, qui pouvaient connaître de toutes causes civiles et criminelles, arrêter et emprisonner les criminels ; de tenir assises aux Chézeaux sous un orme appelé des Bans (Cet orme se trouva dans les Rues d’en Bas des Grands Chézeaux où, jusqu’à ces derniers temps, on montrait encore une grosse pierre formant ban que l’on appelait «la Pierre d’Audience ». Cette pierre à été détruite en 1944) ; d’avoir des fourches patibulaires à deux piliers au lieu dit La Couture, proche du Bois de Jançais (cet endroit porte encore le nom de « Les Justices »). Ils avaient droit, disaient-il encore, de donner mesures à blé et à vin marquées à leurs armes etc…
Une enquête avait été faite et ils avaient été déboutés ; ils avaient alors fait appel au Parlement. La cour cassa la première sentence et confirma les Seigneurs dans leurs prétentions concernant cette haute justice, par arrêt du 9 juillet 1401.
Cet arrêt, important à plus d’un titre, présente pour nous le grand intérêt de donner la liste des divers Seigneurs de la Terre aux Feuilles à la fin du XIVe siècle.
Ce sont :
– Guillaume de Nailhac, seigneur de Mondon.
– Guillaume Pot, seigneur de Piégut.
– Catherine de Vilaine, veuve de Gui de Pressigny, au nom de ses enfants.
– Olive de Saint-Georges, dame de Luseret et des Chézeaux.
– Dauphine, dame de Solignac.
– Mérigot Brachet, seigneur d’Oreix.
– Jean de Sela.
– Jean de Rancon
– Guillaume Aubert, seigneur de Lavau.

Or, nous remarquons que six seulement de ces personnages ont leur nom accompagné de celui de la seigneurie dont ils sont possesseurs. Ce chiffre de 6 correspondant à celui des châteaux primitifs, nous en concluons que ces six personnages doivent être les six châtelains des 6 châteaux primitifs, lesquels seraient, par suite, Mondon, Piégut, les Chézeaux (Luzeret se trouvant dans l’Indre et hors de la Terre aux Feuilles, Olive de Saint Georges figure ici pour son fief des Chézeaux, qui lui, est dans la Terre aux Feuilles), Solignac, Oreix et Lavau.
A titre de vérification, il convient de rechercher si l’on trouve trace ou souvenir de châteaux fortifiés dans ces six fiefs.

1° Mondon. — La « Tour de Mondon » est justement un de ces donjons, primitivement « chastels » de notre pays, que nous décrit M. de Beaufort.
2° Piégut. – Le château de Piégut existe encore, quoique bien défiguré. Il est mentionné en 1447 comme « forteresse ».
3° Les Chézeaux. – Nous ne connaissons pas en ce lieu de restes de château (Le château de la Goutte-Bernard, qui existe encore dans la paroisse des Grands Chézeaux, n’a été construit qu’au XVe sièècle, époque où la Goutte-Bernard a été constituée en fief), mais nous devons remarquer que la seigneurie des Chézeaux fut parfois désignée sous le nom de « Saint Vaulry » ou, plus complètement, de « La Tour Saint Vaulry ». (En 1410, Olive de Saint Georges est dite dame de La Tour Saint Vourie et de la « Terre des Chazeaux »). « Les Chazeaux » constituaient donc le nom de la terre, de la paroisse, du bourg, et « La Tour Saint Vaulry » était celui de « la Tour » primitif « Chastel » des Chézeaux (Dans le même ordre d’idées, on sait que la Seigneurie de Jouac se nomma « Seigneurie de la Tour de Jouac », à cause du donjon féodal qui commandait la rivière, puis « Seigneurie du Peu de Jouac », du nom du village qui dominait les restes de la tour.
4° Solignac ou Soulignac. – On sait que le logis, détruit depuis longtemps, était jadis enfermé dans une cour dont le devant était flanqué de deux tours rondes.
5° Oreix. – Une partie du corps de logis subsiste encore avec deux tours découronnées.
6° La Vau (qui deviendra plus tard La Vau Pot), possédait également un château, qui fut ruiné en 1369 par les Anglais. Un acte de 1401 y mentionne « le lieu et place du Chastel fondu », c’est à dire « ruiné ». Nos recherches personnelles nous ont d’ailleurs permis de retrouver les traces d’une grosse tour ronde, d’un diamètre de 12 à 15 mètres, qui se dressait sur un petit tertre encore visible, cette tour paraissant par ailleurs appartenir à la catégorie des donjons de Jançay, Mondon, Jouac, Vouhet, Ponseuil, etc.

En résumé, dans les six fiefs précédents, nous trouvons bien, ou décelons la présence soit de tours, soit de châteaux fortifiés, châteaux peut-être postérieurs à l’époque des tours, mais qui auraient vraisemblablement succédé aux « Chastels » primitifs, détruits, comme tous ceux de notre région, au cours de l’invasion anglaise de 1369. Tous ces fiefs, en tout cas, ayant possédé un château-fort ont pu appartenir à des châtelains et rien ne s’oppose, par la suite à ce que les six châteaux primitifs de la Terre aux Feuilles aient été ceux des six fiefs précités.
Siège de la Châtellenie.
Si nous admettons que les six châteaux primitifs furent ces derniers, pouvons-nous déterminer, parmi eux, celui qui fut le siège de la châtellenie d’origine ? Il semble que oui.
En effet, le jugement de 1401 ayant trait à une question de prérogatives seigneuriales, il est normal que, dans l’énumération des divers seigneurs en cause, ceux-ci n’aient pas été cités au hasard, dans un ordre quelconque mais, au contraire, suivant un véritable ordre de préséance, basé sur l’importance et l’ancienneté primitives de leurs fiefs.
Mondon, dont le seigneur figure en tête de liste, immédiatement après le Vicomte de Brosse, nous paraît donc avoir été le siège de la Châtellenie première. Nous en trouvons d’ailleurs une confirmation dans le fait que le fief de Mondon était le plus considérable de la Terre aux Feuilles et aussi et surtout, dans ce que, seul de tous ceux de cette Terre aux Feuilles, ce fief porte encore dans plusieurs documents (et cela jusqu’au XVe siècle), le titre de « Châtellenie ».
En résumé, de ce qui précède, nous croyons pouvoir conclure que :
1° La Terre aux Feuilles fut une notable Châtellenie, ayant son siège à Mondon.
2° Cette Châtellenie comprenait six châteaux à savoir Mondon, Piégut, les Chézeaux (ou mieux, La Tour Saint Vaulry), Soulignac, Oreix, et La Vau (devenu plus tard La Vau-Pot).

b. Quelles étaient ces 6 paroisses ?

Nous savons, tant par l’arrêt du Parlement de 1401 que par le mémoire produit par le Duc de Savoie Charles III que la Terre aux Feuilles, outre ses six châteaux, comprenait également six paroisses, mais, aucun de ces documents ne révélant les noms de ces dernières, il nous faut chercher à les identifier.
M. Drouault donne la liste suivante Saint Sulpice, Mailhac, Cromac, Les Chézeaux, Saint Georges et Jouac.
Pour M. de Font Réaulx (De Font Réaulx, testament d’Isembert Feuille, abbé du Dorat, 17 février 1277 dans le Bulletin Philologique et Historique du Comité des travaux historiques et scientifiques, année 1919, Paris, 192l, p.122-123), les paroisses de La Terre aux Feuilles étaient « au nombre de cinq : Saint Sulpice, Saint Georges. Les Grand Chézeaux. Mailhac et Cromac ».
Comme on le voit, ces deux listes sont identiques en ce qui concerne les cinq paroisses de Saint Sulpice Les Feuilles (anciennement Saint Sulpice La Terre aux Feuilles), les Grand Chézeaux, Saint Georges Les Landes (anciennement Saint Georges Terre aux Feuilles), Mailhac et Cromac qui, toutes, appartenaient en effet indubitablement à la Terre aux Feuilles.
Mais M. de Font Réaulx ne parle pas de Jouac, par ailleurs indiqué par M. Drouault et, personnellement, nous estimons que c’est à juste titre qu’il a passé sous silence cette dernière paroisse. En effet :
1° A Jouac même, et, dès le XIIIe siècle, se trouvait une seigneurie dite « de Jouac », ou, mieux, « de La Tour de Jouac », qui appartenait à la puissante famille des La Trémoille. Nul doute que si Jouac avait réellement fait partie de la Terre aux Feuilles son seigneur eut figuré sur la liste inscrite dans l’arrêt de 1401, ce qui n’est pas.
2° Un aveu rendu en 1552 par Louise de Bourbon, vicomtesse de Brosse, énumère les fiefs dépendant de la Terre aux Feuilles. Or, il n’y en a aucun qui soit situé dans la paroisse de Jouac.
3° Dans aucun acte, de quelque époque que ce soit, ne se trouve, à notre connaissance, aucun fief de la paroisse de Jouac mentionné comme appartenant à la Terre aux Feuilles.

En conclusion : Jouac n’était pas paroisse de la Terre aux Feuilles (Jouac dépendait bien de Brosse, mais directement, et non comme partie détachée de l’ancienne Terre aux Feuilles).
Ce premier point élucidé, il reste à découvrir qu’elle était la sixième paroisse, non mentionnée par M. de Font Réaulx (dont la liste comporte cinq noms), et remplaçant dans la liste de M. Drouault celle de Jouac indiquée, selon nous, par erreur. Cette paroisse devait être Arnac (aujourd’hui Arnac La Poste)

Dans l’arrêt de 1401 figure, parmi les seigneurs de la Terre aux Feuilles, celui d’Oreix, Mérigot Brachet.
Nous avons vu qu’Oreix était, selon nous, un des six châteaux primitifs ; or, Oreix est dans la paroisse d’Arnac, et c’est à ce titre que, le 5 septembre 1519, François Brachet, seigneur d’Aureix et Dauphine du Barry, sa femme donnèrent au prieur, curé et prêtre de la communauté d’Arnac toutes les dîmes dépendant de leur seigneurie d’Aureix.
Oreix se trouvant dans la paroisse d’Arnac et étant château primitif de la Terre aux Feuilles, il est légitime de penser qu’Arnac était primitivement la Terre aux Feuilles.

Cette conclusion semble, en réalité, contredite par le fait que, à la fin de l’ancien régime, la Baronnie d’Arnac était considérée comme étant en Basse-Marche et dépendant de la Généralité de Limoges. La chose est bien exacte, mais en partie seulement. En effet, ce n’est pas la paroisse d’Arnac toute entière qui se trouvait en Basse-Marche, mais une partie seulement, en vérité ta plus importante et comprenant le bourg lui-même. Ceci ressort d’un dénombrement rendu en 1684 par Pierre de Laval-Montmorency, marquis de Magnac, dans lequel il est dit « Laquelle paroisse d’Arnac nous appartient à la réserve des villages de la Salesse, Lage du Lac, Margot, Ruffect, Rufasson, Deschamps, l’Héritière, Puy Roger et la Villaubrun, lesquels villages sont de l’élection du Blanc, généralité de Bourges, sénéchaussée de Montmorillon. » La paroisse, qui formait un tout à l’origine, se trouve donc plus tard scindée en deux, une partie se trouvant dans la châtellenie de Magnac, en Basse-Marche, l’autre partie demeurant dans l’ancienne châtellenie de la Terre aux Feuilles, en Poitou.
Originairement, l’ensemble de la paroisse appartenait donc soit à Magnac, soit à la Terre aux Feuilles. Or, c’est bien de cette dernière qu’elle dépendait, puisque, nous l’avons vu, le château d’Oreix, sis en la paroisse d’Arnac était, en 1401, à la Terre aux Feuilles.
Il y eut donc partage de la paroisse entre 1401 et 1684. Quand et à quelle occasion ?
Au XIe siècle, les Brachet, seigneurs d’Oreix et du Monteil (en Terre aux Feuilles) devinrent de plus seigneurs de la Châtellenie de Magnac et de la Seigneurie d’Arnac. Leurs possessions se groupèrent et formèrent un tout, Arnac devenant dépendance de la Châtellenie de Magnac (En Basse-Marche), tout au moins en ce qui concerne la portion de la paroisse d’Arnac appartenant alors aux Brachet. Le reste demeurait à la Terre aux Feuilles (en Poitou). Arnac se détacha donc en partie de la Terre aux Feuilles entre 1401 et 1684, et vraisemblablement au XVe siècle.

Les précédentes conclusions sont d’ailleurs corroborées par l’examen des cartes géographiques anciennes. C’est ainsi que, par exemple, la carte de Cassini (du XVIIIe siècle), partage la paroisse d’Arnac conformément aux indications fournies par le dénombrement de 1684, alors qu’un atlas du XVIe siècle, appartenant à notre bibliothèque personnelle, montre sur une carte consacrée au « Poictou », des limites soigneusement indiquées par une ligne pointillée et englobant dans le Poitou le Bourg même d’Arnac ainsi que sa région. (Le partage de la paroisse d’Arnac ne devait donc pas avoir eu lieu encore au moment de l’établissement du prototype de cette carte).

En conclusion, Arnac dut être primitivement paroisse de la Terre aux Feuilles.

En résumé la Châtellenie de la Terre aux Feuilles comprenait, suivant nous, les six paroisses de Saint Sulpice, Saint Georges, Les Chézeaux, Mailhac, Cromac et Arnac.
Il est curieux de constater que la loi du 15 janvier 1790, qui établit la nouvelle division de la France, respecta, sciemment ou non, cette primitive constitution de la Terre aux Feuilles, lors de la création du canton de Saint Sulpice. Celui-ci, en effet, ne comprit au début que six communes, calque des six paroisses précédentes.
Ce n’est que plus tard que le canton de Lussac, supprimé, repassa au canton de Saint Sulpice les communes de Lussac, Jouac et Saint Martin, ce qui donna à ce dernier son actuelle composition.