L’Age-Bernard.

Ancien château appelé, depuis la Révolution, La Borderie, possédé jusqu’alors par la famille Lignaud ; il paraît avoir été construit dans la seconde moitié du XVIe siècle, après l’abandon par les Lignaud du château de L’Age-Bernard, paroisse de Brigueil-le-Chantre, berceau de leur famille ; jusqu’à cette époque, ils s’étaient contentés d’un hôtel au bourg de Lussac et, en cas de danger, d’une tour dans le fort.

La généalogie de cette maison, qui a joué un rôle impor­tant dans notre pays, a été donnée par Lainée.

Robert du Dorat la fait remonter à Pierre Lignaud , seigneur de L’Age-Bernard et de Lussac-les-Eglises, vivant en 1350, fils d’autre Pierre, seigneur de Lussac en 1320. De ce que nous avons dit à propos de la châtellenie de Lussac, découle que cette qualification du seigneur de Lussac attribuée à ces personnages est inexacte.

I.   —  Le premier degré certain est Jean Lignaud, damoiseau, mentionné dans des litres de 1397-1405 ; de sa femme, Catherine, il eut :

II    —  Pierre Lignaud, seigneur de L’Age-Bernard, vivant en 1437 – 1444

III. — Perrot Lignaud , seigneur dud. lieu, cité en 1449-1466, est son fils ; de sa femme, Marie Joubert, il laissa Perrot, Guillaume et Vincent. Perrot rendit, le 8 sept. 1469 au seigneur de La Trémoille un dénombrement pour son “hostel, hébergement et vergier et une petite maison devant, le tout au bourg de Lussac, joignant aux fouxéz et, fortiffications et au fouxé du sementière ; plus son hostel en la paroisse de Brigueil, appelé l’Age-Bernard, guerennes, étangs ; la tierce partie des Agriers de Bouchiron contenant 300 septerées, la tierce partie des Agriers de La Chaulme contenant 400 septerées ; la guerenne du Plans tenant au gueffroy du moulin ; les 3/4 de la dixme de la Jallebosse ; le quart de la dixme de charnage de Lussac, Mons, Roussines et la Jallebosse vallant 4 ou 5 aigneaulx ; le quart de la petite dîme de Lussac qui peut valloir 2 ou 3 setiers de blé, la douxièsme partie des laines du dixme que tient le prienr et le chapelain de Lussac par toute la paroisse ; autre maison dite maison Jehan Dubois avec fouxés, courtillages et vergiers joignant le chemin de Lussac au Dorat et, à la grant voye ” etc., le tout valant 80 l. de rentes et tenu du seigneur de Lussac à foi et hommage  lige “ au devoir d’uns esperons dorez de la valeur de 10 s.

IV. — Perrot étant mort sans enfants, son frère Guillaume hérita de l’Age-Bernard et continua la postérité en épousant Guionne de Pressac. Il fournit, en 1472, au seigneur de Lussac un nouveau dénombrement, copie textuelle du précédent ; il le renouvela aussi en 1483.
Le 28 avril 1501, il acquiert de Georges Mathieu, seigneur des Hommes, le 1/8 de la petite dîme de Lussac, 1/16 de la dîme de la Jallebosse, le 1/8 des charnages de Lussac.
Il était gentilhomme de la suite de M. de la Trémouille et nous le trouvons, en 1487, gouverneur de l’île de Noir­moutiers pour ce seigneur. En cette qualité, Charles VII l’exempta du ban et de l’arrière-ban par lettres du 13 mai.
Le 22 août 1505, La Trémoille mande à son receveur, Jean Motays, de payer à Guillaume Lignaud 45 l. de pension “ ceste année, oultre ses gages ordinayres, pour luy ayder à soy entretenir en nostre service ” ; d’après l’état des dépen­ses de 1492, sa pension était de 60 l. *.

*  Les La Trémoille pendant cinq siècles, p. 35 et 109.

Il laissa François dont on va parler ; Antoine, prieur de Saint-Exupéry, et une fille mariée à Antoine de Lage-Hélie.

V. — François Lignaud, seigneur de L’Age-Bernard, épousa, par contrat du 8 janv. 1505 (v. s.), Jeanne Couraud, fille du seigneur de Saint-Martin-le-Mault.
Le 10 mars 1510, il accensait à Mathurin Lounay, moyen­nant 2 s. de rente, « ung vergier ou jardin du pré Bastant selon que tient le pallez dud. jardin, à charge de construire une maison et eschauffecteur dedans ung an « .
Le 8 janv. 1522 (v. s.), il obtenait du roi des lettres patentes à terrier pour L’Age-Bernard. Ce terrier fut com­mencé le 1er avril suivant par Rabalière et Forestier, notaires.
Le 24 sept. 1510, le sénéchal de Lussac recevait son hommage pour son hébergement et vergier situé au bourg de Lussac.
En 1530, il transigeait avec le seigneur de Champeron au sujet de son ban dans l’église de Lussac.
Pour répondre au désir des lettres du roi du 15 oct. 1538, il bailla, le 13 mars 1539 (v. s.), au sénéchal du Poitou une déclaration de tout ce qu’il possédait: sa maison noble du lieu de Lussac avec jardin et préclôture valant 80 l. de rente; sa maison noble de L’Age-Bernard, paroisse de Brigueil, avec les fossés, étangs, garennes, valant 10 l. de rente ; le fief Serpentin ; la dîme de l’Eschange sur Lussac et Saint- Martin valant 100 s.
Il laissa Guillaume et lsabelle, femme du seigneur des bastides.

VI.Guillaume Lignaud, seigneur de L’Age-Bernard, servit dans les guerres d’Italie comme homme d ‘armes du duc de Guise il fut tué à la bataille de Saint-Quentin le 10 août 1557.
Il eut, lui aussi, des difficultés avec le seigneur de Champeron au sujet de son banc dans l’église de Lussac et se porta même à certains excès sur sa personne le 1er avril 1540, François Pot, seigneur de Chassingrimont .Jullien Ballou, chevalier; Charles du Breilh, seigneur des Veyries ; Antoine de Blond, seigneur de Beaupuy ; Pierre Estourneau, seigneur de Tersannes François du Genest, écuyer, assemblés à Lussac en tribunal, condamnent Lignaud à payer 100 l. à Champeron qui se désiste de toutes poursuites.
De Marguerite de Couhé qu’il avait épousée le 7 fév. , il eut :

VII. — Antoine Lignaud porta tout d’abord les armes en qualité d’archer, puis d’homme d’armes, dans la compagnie du comte de Charny, seigneur de Lussac, du 3 juin 1567 au 10 juin 1574. Par acte du 16 mars 1568, ce dernier, en consi­dération des bons et agréables services qu’il a reçus de lui, lui fait don du droit de prélation et retenue féodale qu’il possède sur ses sujets de Château-Guillaume, Vasois, Saint-Cyvrant, Les Corrys Thollet et Lussac, depuis 12 ans et pour l’avenir autant qu’il lui plaira.
Il fut le premier de cette maison à embrasser le protestantisme et les chroniques du temps nous donnent quelques détails sur le rôle qu’il joua dans le pays : vers fév. 1575, elles nous le montrent en compagnie de divers seigneurs du pays reprenant le château du Bourg-Archambault, qui avait été surpris par Jean de La Haye, lieutenant général du Poitou en oct. 1577, il est indiqué comme faisant partie du complot ourdi par des gentilshommes poitevins pour s’emparer de Limoges (D. Fonteneau, t. XLV, p. 143).
Henri III, par lettres du 11 août 1558, le nomma gentil­homme de sa chambre, “ en considération, portent-elles, des bons et continuels services que notre cher et bien-aimé le sieur baron du Rys et de Lâge-Bernard, nous a cy-devants faits et fait encore, en certains voyages et affaires où nous l’employons pour notre service ”.

Ou a pu remarquer que jusqu’ici toutes les pièces que nous avons citées, la dernière est de 1539, ne mentionnent, parmi les possessions des Lignaud, qu’un hôtel au bourg de Lussac et un autre hôtel appelé de L’Age-Bernard, paroisse de Brigueil, mais il n’y est pas question d’un château du même nom, paroisse de Lussac : le premier acte qui le cite est de 1565, il faut donc en conclure que le château a été construit entre 1539 et 1565, et sans doute plus près de cette dernière date. Il fut édifié dans des terres dépendant soit de L’Age-Bardon, soit de l’hôtel de Lussac, et on lui donna le nom L’Age-Bernard en souvenir du château de la paroisse de Brigueil qui fut abandonné. Le fief tenu par les Lignaud à Lussac était du reste déjà connu sous ce nom, le terrier de 1523 le prouve. Le siège de la seigneurie fut seul changé.

Nous attribuons plus volontiers cette construction à Antoine, car c’est à lui que commence l’éclat de cette maison. Son mariage avec Marie Mauclerc, veuve de Jacques de Saint-Savin, en 1575, le fit baron du Ris-Chauveron, un des plus intéressants châteaux de notre région. Dans les pages que nous avons consacrées aux seigneurs de Lussac, nous avons dit ce que devint sa descendance ; depuis cette époque  jusqu’à la Révolution, L’Age-Bernard resta en leur possession et fut considéré comme le siège de la châtellenie de Lussac.

Un inventaire, dressé après la mort de Maximilien Lignaud, donne de curieux détails sur la distribution et l’ameublement de ce château en nov. 1674, nous allons l’analyser brièvement.

La chambre basse où est mort le seigneur est tendue de tapisserie de Bergame noire ; dans la chambre à côté, se trouve une tente de tapisserie de haute lisse, contenant l’histoire du mariage d’Alexandre en 7 pièces, estimée 50 l. ; une autre chambre à côté, appelée chambre des Demoi­selles, est tendue d’une vieille tapisserie en paysage fort usée, 30 l.
La grande salle basse garnie de tapisserie de Bergame renferme un jeu de billard ; ensuite la cuisine, puis une pièce dans la tour de l’abreuvoir.
La chambre du marquis est au premier étage au-dessus de celle où il est décédé ; elle est meublée de 2 lits garnis de tapisserie de Bergame ; plus loin la chambre bleufve et la chambre de l’alcosve ; dans celle-ci, un beau lit garni de drap de Hollande, couleur olive doublé de taffetas jaune estimé 400 l. ; une belle table de bois de noyer fort façonnée fermant à clef ; 3 carreaux de satin jaune et une tente de tapisserie contenant l’histoire de Diane, 400 l.
Dans la grande salle haute : 2 tables, 1 lit de repos, 2 chaises, 6 fauteuils, une belle tente de tapisserie contenant l’histoire romaine lorsque Tite prit Jérusalem, de dix pièces, 1400 l.
Dans la belle chambre au bas de la grande salle : 8 fauteuils et 9 chaises se pliant garni de drap de Hollande, avec frange or et argent ; 4 grands carreaux de damas vert, 195 l. Un beau lit garni de drap de Hollande couleur de feu avec frange or et argent ; un grand miroir garni d’ébène ; une belle tente de tapisserie de verdure de haute lisse, 50 l. ; dans la chapelle, bien garnie de toutes sortes d’ornements, un calice d’argent estimé 100 l. ; dans un cabinet, un beau lit de réserve en broderie de soie, de drap amarante doublé d’un gros de Naples à fleurs, le tout bien garni de frange et crespine de soie. L’argenterie est estimée en bloc 7620 l. ; deux étuis garnis de couteaux, cuillers et fourchettes, l’un de vermeil doré, l’autre d’argent, 50 l.
Un autre inventaire de 1788 nous montre que le château comprenait 32 pièces :
– chambre de la comtesse : lit à droguet de soie couleur de chair avec des rideaux de ras citron ;
– chambre à l’aigle : 2 anciens lits à la duchesse de vieille étoffe à fleurs ;
– chambre violette ;
– chambre du balcon : lit de damas broché citron avec rideaux de serge de même couleur ;
– autre chambre sur la cuisine : lit à l’impérial de satin blanc brodé de cerise, courtepointe et soubassement de même qualité, rideaux de serge d’Aumale blanche ;
– chambre du Pont ;
– chambre de l’alcôve : lit d’alcôve satin citron moucheté avec rideaux de droguet de même couleur ;
– chambre de la tour ;
– chambre du comte.
Le terrier de 1784 décrit ainsi l’extérieur du château :
“Il est basti sur 4 ailes en carré parfait, décoré de 4 grosses tours, une à chaque angle, et d’un pavillon quadrangulaire fort élevé sur l’aile du jardin ; il est entouré de larges douves ou fossés en carré bordés du côté de l’avenue de marronniers, de terrasses et palissades, fortifié de ce même côté d’un pont-levis sur les douves et de 2 tourelles sur le mur du grand portail que fermait led. pont-levis ; led. château renforcé d’un second mur et portail par lequel on entre dans la cour. Lequel château consiste en outre en plusieurs bâtiments, parterres, jardins, avenues, charmilles, caneaux d’eau, berceaux, bosquets, le tout compris dans l’enceinte des fossés et contenant une septerée 45 perches, la septerée de 100 perches carrées et la perche de 22 pieds de roi. Plus le grand jardin situé à côté de l’aile occidentale où l’on entre par un pont de bois qui est sur les douves ; 2 terrasses à côté du pont où l’on monte par des escaliers ; un bosquet nouvellement planté et dessiné au bout de l’avenue des marronniers, le chemin de Lussac à Montmorillon entre deux ; l’étang du patural ; les maisons et bâtiments de la métairie noble appelée La Borderie du château, etc.

Les Lignaud ayant émigré, le château et ses dépendances furent confisqués : le 26 janv. 1793, la municipalité ordonne des perquisitions à L’Age-Bernard pour y chercher le seigneur Muet qu’on dit de retour de l’étranger.

En l’an III, François Pillaud, cultivaleur, est dit habiter La Borderie du ci-devant château ; La Borderie L’Age-Ber­nard, an VI.

Le château fut alors abandonné et ne tarda pas à tomber en ruines. M. Ernoul, ancien ministre de la Justice, devenu propriétaire, le fit restaurer vers 1880 par M. Roques, architecte à Angers.

 Addenda

L’Age-Bernard. — En vertu d’un arrêté du représentant du peuple pris le 8 nivôse, la municipalité décide le 12 pluv. an II que du château de l’Age-Bernard, on ne conservera que l’aile neuve jusqu’à l’escalier en pierre qui monte au grenier, en démolissant la chapelle attenant à cet escalier et en réduisant le pavillon qui renferme celui-ci à la hauteur de l’aile. Les 4 tours seront rasées et les fossés comblés. Les matériaux de démolition seront mis à la disposition du public. Le 15 germinal, on enjoint à Coeur-de-la-Nation (ex-Coeur-de-Roy), du Dorat, qui s’est rendu acquéreur du château, de se con­former sans délai à la délibération précédente.