Menussac

13 m, 56 h
Il y avait autrefois dans ce village un prieuré sous le vocable de saint Jean-Baptiste, qui dépendait de l’abbaye de 1’Artige. Il est mentionné pour la première fois dans une bulle du pape Adrien datée du 3 des kalendes de nov. 1158.
Une charte du cartulaire de l’Artige, antérieure à cette date, relate la donation à cette abbaye par Humbert Cortet, de tous les droits qu’il possède à Manussac, au-dessous de la voie romaine (via f errata) ; par le même acte, Drogon et Pierre font le même abandon*.

*  Cartulaire de l’abbaye de l’Artige, publié par M. de Senneville, p. 335.

L’an 1383, le prieuré étant vacant, le prieur de l’Artige, au lieu d’y installer un nouveau prieur, “fit un mariage de la mère avec la fille”, c’est-à-dire qu’il unit à son couvent le revenu temporel du prieuré de Ménussac et en même temps bailla à rente tous les fonds, y compris la chapelle, dont il se réserva les oblations, à un nommé de Ménussac dit Guillemin, à charge de faire faire le service religieux et de payer par an 2 s. froment, 6 s. seigle, 20 s. et 4 l. de cire.

Ces domaines restèrent entre les mains des Guillemin jusqu’en 1466, qu’un nommé de Breignac, religieux augus­tin, prit possession du prieuré et intenta un procès aux détenteurs sur une transaction, ceux-ci abandonnèrent la chapelle, les oblations, cens et rentes, 2 s. seigle sur la dîme de Monternon, la dîme du village de Ménussac, et un agneau pour le lainage et le charnage.

Plus tard, les seigneurs de Jouac s’emparèrent à leur tour des revenus de ce prieuré, car dans la vente consentie en 1634 par MM. de Sauzet, frères de René, prieur, à Léonard Guillemin, du fief de La Tour de Jouac, ceux-ci donnent à son neveu Maurice Berneron, clerc tonsuré, le revenu de ce bénéfice (D. 1171).

C’est du moins ce que content les pièces de procédure d’une instance intentée en 1683 par le prieur Léger Lamy, contre les Guillemin. Ces allégations paraissent sujettes à caution, car le 3o sept. 1433, Jean de Bonmois, prieur reconnaissait devoir à l’Artige, à cause de Ménussat, un pension de 20 s. et 4 l. cire ; les archives du prieuré renferment d’autres déclarations semblables antérieures à 1466. En 1552, ce prieuré vaut 20 l. de rente ; le seigneur de Brosse en revendique la présentation.

La chapelle existe encore, bien délabrée et envahie par les lierres ; c’est un bâtiment rectangulaire mesurant anté­rieurement 9,5m sur 5,8m ; deux portes y donnent accès : l’une à l’Ouest, l’autre au Nord. Elle est, de plus, éclairée par deux fenêtres romanes l’une à l’Est, au-dessus de l’autel ; l’autre au Sud, dans le chœur.
Cette chapelle n’a jamais été voûtée ; à l’intérieur, on remarque des tombes portant des croix.
Cette chapelle a été réédifiée en partie en I579 ; le 18 sept. de cette année, René de Sauzet, prieur de Mosce, agis­sant au nom de Guillaume du Breuil, religieux de Benna­vent, prieur de Ménussac, afferme à Jacques Delavault, prêtre du bourg de Jouac, le prieuré de M. Saint-Jean-Baptiste de Ménussac, à charge de servir la chapelle in divinis, de payer les décimes “ et oultre sera tenu de para­chever de couvrir lad. chapelle de thuile comme led. Dela­vault a commencé et de porter et de remuer le pignon qui est à présent en lad. chapelle, du cousté du midy et oncquel pend la cloche, à l’endroict et par le dessoubz de la petite porte que l’on entre de lad. chappelle ou jardin dud. Delavault et remuer la grant porte et icelle faire faire oud pignon qu’il fera faire et oultre à la charge de faire griffonner et de blanchir le dedans de lad. Chapelle ”. (G.M.).

Jacques Delavault était encore fermier en1602 c’est sans doute son nom qui figure sur la cloche où on lit en capi­tales :

+ STE IOHANNIS ORA PRO NOBIS
+ M. IA. DELAVT  PBRE F L 1615.

C’est-à-dire M. Ja(cques) Delav(aul)t, prêtre, fit (faire) l(‘an) 1615.

Tous les ans, aux Rogations, le curé de Jouac se rend en procession dans cette chapelle où l’on fait encore quelquefois brûler des cierges pour les maladies des moutons.

Il se tenait jadis à Ménussac une assemblée le jour de la Saint-Jean-Baptiste et à cette occasion le vicomte de Brosse percevait 4 d. sur chaque marchand, 5 s. et une pinte de vin sur chaque cabaretier qui venait s’y installer.

L’abbé Texier, dans son Dict. d’orfèvrerie, Vo Ostensions dit que dans une chapelle en ruines de la commune de Jouac, on a trouvé deux grandes croix émaillées. Cette chapelle, qu’il ne désigne pas, est celle dont nous venons de parler, mais des deux croix signalées, il n’en existe plus qu’une. Elle appartient à la section de Ménussac et un de habitants de ce village en a le dépôt.

Contrairement à ce que nous avons vu pour les autres pièces émaillées rencontrées dans les communes précédentes, la croix de Ménussac n’a pas été reproduite par la gravure et l’on ne trouve sur elle que de rares mentions. Elle n’a, du reste, figuré à aucune exposition, les habitants n’ayant jamais voulu, sans dessaisir ; elle est de plus dans une région difficilement accessible. Aussi, pour permettre à d’autres plus compétents que nous de l’étudier, allons-nous en faire une description détaillée accompagnée d’une reproduction. Cette croix qui mesure 415 mm de long sur une largeur de 4 cm et une épaisseur variant de 2O mm à la base, à 14 mm au sommet, est formée d’une âme en bois recouverte d’une mince feuille de cuivre. Les extrémités sont potencées et un cavet réunit la traverse à la potence qui la termine ; à l’endroit où les croisillons rejoignent la tige verticale, des quarts de cercle, formant auréole, viennent les renforcer.
Sur les deux faces sont placées des émaux champlevés.

La face principale est composée de cinq plaques émaillées qui la recouvrent entièrement.
– La plaque centrale forme une croix sur laquelle est rattaché un Christ en demi-bosse ; le fond de l’émail est bleu avec encadrement rouge et blanc. Au sommet surgit, d’un nuage tricolore, une main bénissant à la manière latine au-dessous titulus réservé dans le métal et portant IHS sur un fond pointillé. Sous la tête du Christ se trouve un léger nimbe crucifère ; la partie inférieure est remplie par des rinceaux et par un personnage gravé ; ce personnage, Adam sortant du tombeau, est représenté nu, assis et levant les mains en suppliant. Des losanges, des ronds en émail, des parties de métal réservées occupent le surplus de la plaque. Le Christ, qui la recouvre en  partie, mesure 15cm de longueur. Une couronne royale tréflée et ornée de pointillé, surmonte la tête inclinée à droite, couverte de longs cheveux faits de bandes parallèles et pointillées descendant sur les épaules ; la barbe est traitée par le même procédé. Les yeux sont indiqués par des perles d’émail noir ; les bras longs et maigres sont presque horizontaux, les pouces détachés des autres doigts. Un jupon retenu par une ceinture pointillée tombe jusqu’aux genoux ; les pieds, fixés chacun par un clou, reposent sur un suppedaneum. Des détails anatomiques se remarquent aux seins, aux côtes et aux avant-bras.
– Les quatre autres plaques, qui l’accompagnent et qui forment les extrémités potencées des branches de la croix, se ressemblent toutes ; elles sont bordées d’un liseré blanc et rouge qui continue la décoration de l’émail central et sont ornées comme celui-ci de losanges, de ronds et de parties réservées. Sur chacune d’elle se trouve appliqué un personnage, en demi-bosse pour le corps, en ronde bosse sur la tête. Tous sont vêtus de longues robes masquant les pieds ; sans doute les quatre évangélistes dont nous allons voir les symboles au revers. Celui de gauche a les mains croisées ; les autres portent des livres et bénissent. Comme pour le Christ, les yeux sont constitués par des globules noirs.
Toutes ces plaques étaient fixées à l’âme par des  clous de cuivre, plusieurs, perdus, out été remplacés par des clous de fer.

Au revers, les dix plaques émaillées ne recouvrent pas complètement la feuille de cuivre qui porte des traces de dorure ; elle est ornée de rosaces repoussées et d’une bordure de perles.
La plaque centrale, circulaire, offre au centre un Christ en majesté, jeune, imberbe et nimbé, gravé dans le métal sur fond d’émail bleu. Il sort des nuages et tient le livre des Evangiles dans la main gauche ; de la droite, il bénit. Le nimbe, qui entoure sa tête, est cantonné de l’? et de l’?. La branche médiane de cette dernière est démesurément allongée ; la tête de l’? finit aussi en longue pointe, souvenir de l’art grec qui munissait ces lettres de crochets pour les suspendre aux bras de la croix.
En bas, et de chaque côté, losanges d’émail rouge, vert et jaune.
Cette plaque était accompagnée de cinq médaillons circulaires plus petits ; deux sont perdus; ceux qui restent portent des rosaces à huit pétales réservés sur fond bleu et cantonnés de points rouges ; un clou passant par le centre les fixent.
Aux extrémités des bras se trouvent quatre autres plaques portant, gravés sur fond bleu, les symboles des évangélistes : en haut l’aigle, en bas l’ange ; à droite le bœuf ailé, à gauche le lion aussi ailé ; tous sont nimbés d’un cercle blanc, bleu, rouge*.

*  Cette décoration se retrouve au revers d’une croix en plate pein­ture qui appartient à Mme la comtesse Dzyalinska et qui provient de la collection Germeau (M. Rupin, p. 274) ; on y retrouve la plaque centrale circulaire, les cinq petits disques ornées de rosaces et les plaques des extrémités portant les attributs des évangélistes. La lame de cuivre est frappée des mêmes ornements.

La tranche de la croix est semée de rosaces repoussées et à la partie inférieure existe un trou permettant de la fixer sur une hampe ou sur un pied pour l’utiliser, soit comme croix de procession, soit comme croix d’autel.
L’origine limousine de cette oeuvre d’art ne saurait être mise en doute : “ Les croix auréolées avec terminaison en potences et à cavets, dit M. Rupin, paraissent être l’une des caractéristiques de l’orfèvrerie limousine, une marque de fabrique en quelque sorte.” Ajoutons-y les yeux d’émail et les fonds bleus des plaques.
Ce type de croix émaillée, où l’emplacement du Christ était réservé, pour recevoir une figure en ronde bosse, devait être autrefois assez commun ; il avait été imaginé au début du XIIIe siècle par les artistes limousins pour simplifier leur travail et faciliter, par des prix plus abordables, la vente de leurs produits*;

*  M. Rupin, p. 252.

Néanmoins ces objets sont aujourd’hui fort rares, en particulier les croix garnies de personnages en relief aux extrémités. M. Rupin, dans le monument con­sacré à l’Oeuvre de Limoges décrit une croix à peu près identique à la nôtre qui est conservée au musée de Neuf­châtel-en-Bray*.

*  M. Rupin, p. 286, fig. 344 et 345. Les personnages en relief sont la Vierge, Saint-Jean, un personnage indéterminé et un autre remplacé.

Cette croix est un peu plus grande que la nôtre ; le revers se com­pose d’un médaillon central contenant un Christ en majesté dans une vesica piscis, et de quatre autres petites plaques plus petites portant les symboles des évangélistes.
Dans le catalogue qu’il a établi à la suite, il mentionne seulement une dizaine de croix de ce genre en France, en Angleterre, en Autriche et en Italie, mais le Limousin n’y figure pas ; la croix de Ménussac comble donc cette lacune.
De par ses divers caractères, cette œuvre nous parait appartenir au commencement du XIIIe siècle. Elle a été classée monument historique il y a quelques années.

Prieurs de Ménussac. — Jean de Bonmois, 1433; Jean de Vouveys, 1447 ; N. de Breignac, 1466 ;Blain de Montcheny, 1523-1524 ; Jean de Masvalier, 1524 ; Guillaume de Breuil, 1567-1579 ; René de Sauzet, 1585-1602 ; Léonard Cuzinier, 1625; Maurice Berneron, curé de Lussac, 1639-1656 ; Léger Lamy, chanoine de N.-D. de Selles à Bourges, 1682-I692 ; Ménard, 1703 ; Louid Romanet, docteur en théologie, curé de Saint-­Maurice de Limoges, 5730-1745 ; Dubrac, 1733 ; J.-B. Bigaud, 1787.