Généralités : Antoine de Lage

Antoine de Lage, duc de Puylaurent, est sans doute né au château de Puylaurent, qu’habitaient ses père et mère. Sa vie offre un exemple remarquable d’une fortune rapide, suivie d’une chute plus rapide encore.
Comme son père était vassal de Marie de Bourbon-Montpensier, épouse de Gaston d’Orléans, frère du roi, — Puylaurent étant un fief relevant de Brosses, qui appartenait à celle-ci — Antoine de Lage entra de bonne heure au service de Monsieur.
Il sut si bien gagner sa confiance qu’il devint premier gentilhomme de sa chambre et son plus intime favori.
Au lendemain de la journée des Dupes, il suivit Gaston qui s’était retiré à Nancy ; à cette époque, Richelieu, qui se connaissait en hommes, lui avait fait offrir secrètement un duché-pairie à condition qu’il entretiendrait son maître dans des dispositions favorables au ministre et qu’il répondrait de sa conduite.
Dans cette ville, Puylaurent, beau cavalier, sut capter le cœur de la princesse de Phalsbourg, qui voulut le garder près d’elle en lui faisant épouser sa sœur.
Monsieur étant ensuite rentré en France, se fixa à Orléans, d’où en mars 1631, il envoya Puylaurent lui lever des troupes en Limousin et en Quercy ; mais le roi, lassé de toutes ses intrigues ourdies par son frère, s’étant avancé jusqu’à Orléans, une panique s’empara des conspirateurs qui se hâtèrent de regagner Nancy ; une déclaration du roi, du 30 mars 1631, déclara Puylaurent et ses amis criminels de lèse-majesté.
C’est à ce moment que, serré de plus près par les émissaires de Richelieu qui, à ses promesses précédentes, ajoutait l’appât d’un mariage avec une de ses cousines, Puylaurent se mit au service du puissant ministre ; il renonça alors à épouser la sœur de la princesse de Phalsbourg qui, devenue libre par la mort de son mari, s’était sauvée de Nancy à travers les armées françaises et était venue lui offrir sa main.
Puylaurent s’était si bien insinué dans l’esprit de Gaston qu’il sut l’amener à accepter toutes les propositions du cardinal et le brouiller avec sa mère.

Mais bientôt le double jeu de Puylaurent fut percé à jour et il se vit en butte aux ressentiments du parti de la reine-mère. Se trouvant à Bruxelles le 3 mai 1634, en montant les escaliers du palais, vers les huit ou neuf heures du soir, un mercenaire lui tira un coup de carabine ; la balle l’effleura à la joue droite, blessa à la mâchoire le sieur de Lavaupot et atteignit à la tête Roussillon, gentilshommes limousins, qui l’accompagnaient.
L’assassin, en se sauvant, laissa tomber une livrée aux armes du chic d’Elbeuf, ennemi personnel de Puylaurent ; mais on pensa que cet abandon n’avait été fait que pour égarer les soupçons qui se portèrent sur la princesse de Phalsbourg, et même sur Richelieu ; d’autres, avec plus de certitude, virent dans cet attentat la main du P. Chanteloube, l’aumônier et le confident de la reine-mère.
Quoi qu’il en soit, le cardinal tint ses promesses ; il lui fit épouser sa cousine, Marguerite-Philippine de Cambout de Coislin, âgée de quatorze ans, fille du baron de Pont-Château*, dont l’aînée se maria en même temps au duc de La Valette. Le contrat de mariage fut passé au Louvre le 26 octobre 1634, en présence de la reine, du cardinal et de toute la cour ; il fut béni le 28, au Petit Luxembourg, par le curé de Saint-Sulpice, puis, sur les quatre heures, les époux furent conduits à l’Arsenal avec une pompe extraordinaire. Le 22 novembre suivant, on acheta au nom du roi la terre d’Aiguillon au prix de 500.000 livres, et le 2 décembre, les commissaires du roi déclarèrent que « la vérité étoit que Sa Majesté vouloit donner cette terre au sieur de Puylaurent en récompenses de ses services ».

* Charles de Cambout, baron de Pontchâteau, était fils de François et de Louise du Plessis-Richelieu ; celle-ci était l’aînée de Louis du Plessis, seigneur de Richelieu, et de Françoise de Rochechouart, ces derniers, grand-père et grand mère du-cardinal.

Cette terre fut érigée en duché-pairie sous le nom de Puylaurent par lettres patentes qui confirmèrent le don ; le 7 décembre, de Lage fut introduit solennellement au Parle¬ment en qualité de duc et pair.
Entouré d’une petite cour composée de gentilshommes du pays que son étoile avait groupés autour de lui et qui lui servaient de gardes du corps, possesseur d’une fortune considérable, 600.000 écus de rente, disait-on, duc et pair, et, par dessus tout, proche parent du cardinal, Puylaurent pouvait croire sa situation définitive et bien assise ; il n’en était rien et cet état si florissant ne dura que deux mois.
Monsieur s’étant fixé à Blois, y menait une vie très retirée ; son silence et sa tranquillité inquiétèrent Richelieu, qui voulut savoir ce qui se tramait dans ce mystère ; il chargea Puylaurent de le percer, lui promettant un gouvernement de province, le bâton de maréchal et le commandement d’une armée.
Puylaurent, qui comptait jouir en paix de ses titres et de sa fortune, ne répondit que mollement aux désirs du cardinal qui le considéra désormais comme son ennemi ; il mit le comble à sa disgrâce en présentant à Gaston des officiers espagnols qui passaient à Blois ; le ministre, soupçonneux, vit dans cet acte une tentative d’entente avec les ennemis de la France ; dès lors, la perte de Puylaurent fut décidée et Richelieu n’eut pas de peine à ranger le roi à son avis.
On ne pouvait songer à l’arrêter à Blois, où il se trouvait à côté de Monsieur, et il était difficile de le faire venir à Paris ; pour l’avoir, on dut user de ruse. On annonça de grandes fêtes à l’occasion du carnaval et Gaston y fut convié avec toute sa suite. Puylaurent ne flaira pas le piège et l’accompagna. Mais aussitôt arrivé au Louvre, il fut arrêté et conduit à Vincennes avec Guérinet *, son valet de chambre, et plusieurs de ses amis. Monsieur, atterré de ce coup et craignant pour sa sécurité, n’osa pas protester.
Puylaurent ne résista pas à l’effondrement de sa fortune ; il tomba malade en prison et mourut le samedi 30 juin 1635. Il fut inhumé le lundi suivant, à onze heures du soir, en l’église Saint-Augustin, au côté du grand autel. Il avait fait son testament le 28 juin 1635**.

* II s’agit probablement de Jean Guérinet qui habitait Saint-Georges et que nous trouvons en 1646-1648 chef de paneterie de Gaston.
** NADAUD, v° de L’Age.

Sa succession fut recueillie par Louise Pot, sa tante, épouse de Claude de Laubespine, et par Anne de Lage, épouse de Robert de Montbel ; elle comprenait notamment une créance de 241.115 livres sur Gaston d’Orléans, résultant des deux ordonnances délivrées par ce prince les 10 et 12 janvier 1635. Le duché de Puylaurent fut vendu aux enchères et adjugé à la demoiselle Vignerot, épouse du sieur Comballet, nièce de Richelieu, moyennant 400.000 livres : il resta dans cette famille jusqu’à la Révolution sous le titre de duché d’Aiguillon. Le prix de vente fut employé à désintéresser les créanciers.
Les héritiers ne purent obtenir le payement du prêt fait au duc d’Orléans et en 1791 la marquise d’Argicourt*, descendante d’Anne de Lage, présentait à l’Assemblée nationale un mémoire tendant à lui faire reconnaître sa qualité de créancière de l’Etat pour cette somme et les intérêts. Nous ne connaissons pas la suite qui fut donnée à ce curieux mémoire qu’on trouvera ci-après.

* Françoise Suzanne de Montbel, mariée le 16 octobre 1753 à Jacques Timoléon de Conty d’Argicourt.

 

Mémoire pour la dame Dargicourt et consorts :
Il n’est point de prescription contre des créances légitimes réclamées sur le roi et dues encore aujourd’hui par l’État.
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Une note annexée fait connaître que le 18 mars 1791 ce mémoire signé de la dame Dargicourt a été présenté au comité de liquidation, avec I) le compte de Puylaurent signé de Gaston ; 2) extrait des actes qui établissent la filiation.
Une première réclamation avait été faite le 14 septembre 1790. Cette réclamation fut enregistrée le 19 mars 1791 sous le n° 963. « Ce 19 matin, j’ai été aux bureaux de M. Dufrène. Dans un on écrivit au dos des papiers présentés : réclamation de Mad. d’Hargicourt pour 241.115 livres 6 sols. Dans un autre on copia le titre apposé sur des registres et on me donna un papier contenant : « M. Girard, liquidateur, du 19 mars 1791, enregistré sous le n° 965. »
(Papiers de la famille de Montbel, communiqués par M. le comte Jules de la Rochefoucauld).