Histoires du temps jadis


.
.
Fanchette et le temps qui passe
La tombe de la Dame
Les pierres de Minuit

.

Fanchette et le temps qui passe.

Fanchette se complait à parler du temps  passé.
—  La vieille Raton, dit-elle, filait sa quenouille au coin du feu.
—  Raton, tu mangerais bien, je parie, une pomme cuite devant la braise ?
—  Non point, disait Raton.
—  Tu préfères des châtaignes grillées ?
—  Hé là non! Vous jetteriez les peaux dans le feu ; et la cendre de pelure de châtaigne est une des plus mauvaises, elle tache le linge. Oublies-tu que demain nous commençons la bujée ? (la lessive).
(On n’employait comme détersif que la cendre de bois, enfermée en un sachet, au fond du cuvier).
—  Alors, que veux-tu pour te passer le temps ?
—  C’est des prunes que je veux… disait Raton. Mets-en trois dans la poche de mon devantau. (tablier )

Il y avait toujours dans les domaines une provision de prunes séchées au four. Les Sainte- Catherine se conservaient longtemps. Raton en fourrait une dans sa bouche. Ce n’était point une gourmandise, mais les prunes sèches font saliver et il lui fallait de la salive pour humecter la laine ou le chanvre qu’elle filait. Sa bouche sans dents formait une gouttière où s’amassait la salive. Quelquefois, il y en avait en si grande abondance qu’elle bavait ; c’était bon signe, une bonne fileuse devait baver.
Raton filait la laine grège imprégnée de suint qui rendait ses doigts rêches. Elle en tricotait des chausses épaisses qu’elle portait telles quelles, retenues par une jarretière au-dessous des genoux. Elle en teignait en brun quelques paires, avec de la feuille de noyer. Car on faisait tout soi-même, autrefois, en utilisant ce que fournissait la campagne. Rien n’était perdu. Pour le lin, par exemple, non seulement on le tissait, mais la graine servait à fabriquer l’huile du chaleil (lampe à huile pour l’éclairage ), il fallait une huile douce qui ne sente et ne fume presque pas. Cette graine était utilisée également en farine, pour faire des cataplasmes… et cela valait bien les remèdes d’aujourd’hui.
Pour en revenir à la laine, celle que l’on appréciait le plus était la laine bure, ou burelle, qu’il n’y avait pas besoin de teindre. C’était la toison des brebis noires. Pour cette raison, une ou plusieurs brebis noires étaient bien vues dans un troupeau ; on disait qu’elles portaient bonheur.

—  Et avec le chanvre, comment s’y prenait-on ?
—  Avant de pouvoir filer le chanvre, il fallait le faire rouir, c’est-à-dire tremper et fermenter dans l’eau pour en détacher la matière gluante qui recouvre les tiges ; ensuite, le sécher au four, le broyer avec une bargue pour briser l’écorce et, enfin, le peigner ou teiller pour avoir la filasse. Ce qui tombait quand on peignait le chanvre était l’étoupe ; ce qui restait dans la main, c’étaient les belles et longues fibres qui devenaient le fil dont le tessier (ou tisserand) tissait la toile. Tout cela n’arrivait pas sans peine. Mais qui craignait sa peine, dans le temps ?
La plus fine toile servait à faire les chemises ; celles des femmes, à manches longues, serrées à l’encolure par une coulisse, tombaient jusqu’aux chevilles. Elles étaient inusables et le trousseau d’une jeune mariée durait toute sa vie. Quelquefois, il n’était même pas usé à sa mort ; les filles pouvaient encore tailler des essuie-mains dans les chemises de leur mère.
—  Et la lessive, Fanchette ?
—  On ne la faisait que deux fois l’an, en mars et en septembre, mais c’est en mars que le linge devenait le plus blanc. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Probablement parce que le soleil avait plus de force.
—  Seulement deux fois par an… Ce devait être bien pénible.
—  Mais pas du tout. Les jours de lessive, comme tous les grands travaux, la fenaison, la moisson, les battages, étaient une fête au domaine. Les voisines venaient aider et même, s’il y avait quarante ou cinquante draps à rincer à la rivière, c’était tout terminé le soir. Les langues marchaient, certes, mais les battoirs ne chômaient pas non plus ; l’ouvrage s’accomplissait dans la joie… et le linge sentait bon…, et l’odeur de la lessive se promenait dans l’air…, et que c’était joli de voir tous ces draps rousseaux étendus sur les buissons !

Après un copieux repas du soir, les femmes, émoustillées par le café corsé d’un brin de « goutte » , ne se séparaient point avant d’avoir dansé. Aussitôt dit, aussitôt fait… Ah ! Les gens étaient gais, autrefois ! Les voilà toutes à danser la polka au tralala :

« Mes moutons s’en vont… Ronde ronde ronde…
Mes moutons s’en vont… Ronde rondement…
Y en a plus que deux, qui suivent la bergère,
Y en a plus que deux, qui sont vigoureux …

Mes moutons s’en vont… Ronde rondement… »

Encore une chose que nous ne verrons plus…, termine Fanchette, avec un brin de mélancolie.

(Thème de Mme B. Chevalier.)


.

Haut de page

LA TOMBE DE LA DAME

      Par cette soirée de décembre 1141, les quelques habitants du hameau de Vitrat s’étaient réunis pour veiller dans la cabane de Rheinart le doyen du village.
Le vent soufflait en rafales, et, dans le lointain par delà l’étang, des halliers de la forêt de Bessac montaient, sinistres les hurlements des loups.
« Que Dieu protège les voyageurs attardés sur la route soupira Forgette la digne compagne du vieux Rheinart. »
Puis le silence retomba sur les veilleurs. Une tristesse insurmontable les envahissait. Le vieil Herbert du Magnaud se sentait à court de légendes, et la jolie Guilleminette, à la voix claire, au minois éveillé, se refusait à chanter la cantilène coutumière.
« On voit bien que Gerhard est absent, fit  remarquer Enguerrand le Tourbier, qui briguait contre lui les faveurs de Guillemette.
–          Aurait-il emporté ta voix, ma fille ? demanda le vieux Rheinart à la jouvencelle.
–          La voix et le cœur se suivent, observa malicieusement Enguerrand.
–          De quoi vous mêlez-vous ? riposta Guilleminette dépitée.
–          Quand aurez-vous fini de taquiner cette petite ? intervint la vénérable Forgette. N’est- on plus maître de son cœur et de sa voix ?
–          Oui, oui, mère Forgette, d’accord, ce qui n’empêche que voilà trois soirs que Gerhard n’est pas venu veiller et si j’étais Guillemette… »
En réponse à cette insinuation traîtresse du Tourbier, un sanglot étouffé partit de l’ombre où se dissimulait la pauvre Guillemette.
« Voyons, voyons, ma fille ne vas-tu pas t’émotionner des dires de ce mauvais gais ? Tu n’ignores pas que Gerhard est dans ses fourneaux dans le bois et qu’il t’a promis épousailles pour la Chandeleur prochaine, et tout le monde sait bien ici qu’il n’est pas homme à manquer de parole. »
Ces mots de la charitable épouse de Rheinart consolèrent Guillemette qui sentit l’espoir renaître en son cœur et le sourire monter à ses lèvres.
Les ais de la pauvre cabane craquaient sous la tempête ; la vieille femme prit une brindille et allongea la mèche du chaleuil. Elle reprit de sa voix chevrotante : « N’as-tu pas quelques complaintes nouvelles qui nous feraient oublier celle que la bise chante si tristement à notre porte ? »
Guillemette soupira, et, sans s’interrompre de filer, sur un rythme monotone comme le bruissement des fuseaux commença :

J’ai rencontré la Madeleine
J’ai rencontré la Madelon
Landérira, rira dondaine
Landérira, rira dondon.

Elle me dit « T’as l’air en peine,
Dis-moi tes peines mon garçon.»
Landirira rira dondaine
Landirira rira dondon.

J’suis amoureux de la châtelaine
Du beau châtel à l’horizon
Landerira rira dondaine
Landérira rira dondon

Si c’est tout ça, c’est pas la peine,
De désespérer mon garçon.
Landérira rira dondaine
Landérira rira dondon

      « Rien ne viendra ! » essayaient-ils de se persuader. Soudain, les aboiements des chiens retentirent et presque aussitôt une forme blanche, glissant plutôt qu’elle ne marchait, apparut dans le chemin. Le sceptique Enguerrant ne put réprimer un geste d’effroi. Ses deux compagnons tremblaient comme la feuille. L’ombre n’était plus qu’à quelques pas, et ils pouvaient distinguer maintenant un être velu, hirsute, dont la toison se rapprochait de celle du mouton.
C’était bien le loup-garou ;
Enguerrand serra son épieu. Déjà, l’étrange apparition passait près de Reynold dont le bâton ferré se leva puis retomba, vigoureusement asséné, sur le dos du fantastique animal, dont il avait manqué la tête. Un cri de douleur retentit, cri lamentable, répercuté longuement par les échos du bois. La toison tomba, laissant apparaître une jeune fille, à la chevelure noire, éparse sur les épaules, aux formes marmoréennes. Ses yeux distendus par la terreur semblaient implorer ses agresseurs.
Ceux-ci, d’abord interdits, hésitaient devant cette vision, mais Enguerrand, se reprenant : « C’est un tour de malin, cria-t-il, sus ! » et son épieu s’enfonçait dans la poitrine de la jeune fille en même temps qu’un choc sourd retentissait. C’était la tranche de Heinricht qui frappait au crâne. Elle s’affaissa, fit un effort pour se relever, ses lèvres remuèrent sans parvenir à articuler le moindre son. Ses membres se crispèrent dans un douloureux spasme, un tremblement agita tout son corps, enfin tout mouvement cessa, la jeune fille était morte.
Les meurtriers qui s’étaient reculé de quelques pas pendant cette agonie, se rapprochèrent.
« Malédiction ! Rugit Enguerrand, c’est Anhélis, la demoiselle de Lubignac.
–          Qu’avons fait ? s’écria Heinrich, jetant loin de lui sa tranche.
–          Nous sommes maudits ! gronda la voix sourde de Reynold. »
Les villageois et villageoises accouraient et Rheinart et sa femme suivaient aussi vite que leur permettaient leurs membres raidis. La stupeur fut générale quand on connut le drame qui venait de se dérouler.
La vieille Forgette, penchée sur la victime, baignait son front glacé de ses larmes. Sur le chemin, des pas pressés retentirent et un homme se précipita sur le groupe des paysans qui s’ouvrit devant lui.
Alors, tombant à genoux devant la victime, il la saisit dans ses bras et pendant un instant, la couvrit de baisers. « C’est Gerhard… » Murmurait-on. Tous comprenaient à cette heure. Soudain le jeune homme se redressa :
« Je vous dénoncerai et vous serez pendus, grinça-t-il en s’adressant aux meurtriers.
–          Tu ne feras pas cela ! gronda Enguerrand en serrant son épieu.
–          Dieu me damne, je le ferai.
–          Par le sang du Christ, tu as menti »
Et ce disant, Enguerrant, d’un geste imprévu, lui traversa la gorge de son épieu. Puis il jeta un regard menaçant sur ceux qui l’entouraient. « Avis à tous ! » Et d’un air sombre, s’appuyant sur son arme, il médita quelques instants. « Maintenant, dit-il, il ne s’agit plus d’hésiter, le mal est fait, il faut s’efforcer de parer à ses conséquences autant que faire se pourra. Heinricht et toi Reynold allez quérir des outils pour les enterrer. »
Comme des automates, les deux jeunes gens obéirent et peu de temps après, une fosse d’un mètre de profondeur béait près d’une roche sur le bord de l’étang.
La vieille Forgette, sanglotant, ferma les yeux d’Anhélis. Et l’ayant ployée dans la toison fatale, elle la vit déposée dans la tombe avec le corps de Gerarhd. Rheinart et Forgette, se signant, prirent une pincée de terre qu’ils répandirent sur les cadavres en guise d’eau bénite.
Tous ceux qui étaient présents suivirent cet exemple.
A cet instant, des cris affreux s’élevèrent. C’était la pauvre Guillemette qui venait d’apprendre l’événement et qu’on emportait en proie à une crise terrible.
Le vent du nord se reprit à pleurer dans les châtaigniers, les loups à hurler au lointain et, comme un rire strident, le cri de la chouette retentit presque sur la tête des paysans consternés. Dans le village, les chiens donnaient à la mort. Lors, tous se séparèrent, augurant de présages les plus sinistres.
Peindre la douleur du sire de Lubignac, quand il constata la disparition d’Anhélis, sa fille chérie, est chose impossible. Des cavaliers furent détachés dans toutes les directions. Le bailli du manoir ouvrit une enquête.
Peine inutile ! Anhélis restait introuvable et rien ne laissait espérer qu’on ne pût jamais découvrir la clef de cette aventure.
Des rumeurs, cependant, prirent cours et mirent la châtellenie sur la trace des meurtriers.
Un matin le sire de Lubignac, son bailli et vingt hommes d’armes pénétrèrent dans Vitrat, s’emparèrent des habitants qu’ils conduisirent sur le théâtre de l’assassinat.
La fosse fut déblayée, les cadavres mis à jour. Se voyant découverts, et pour éviter la question, les meurtriers avouèrent leur crime, arguant néanmoins leur méprise.
Sur l’ordre du seigneur, le corps de Gerhard fut jeté à l’eau pour servir de pâture aux perches et aux brochets et celui d’Anhélis rapporté à la chapelle du château où reposaient ses nobles ancêtres.
Deux heures après, les cadavres du Tourbier, de Heinricht et de Reynold se balançaient aux créneaux du château de Lubignac.
Longtemps après cet événement, les passants rencontraient une pauvre innocente filant une interminable quenouille sur la chaussée de l’étang de Vitrat. A leur vue, elle interrompit sa besogne : « Il va venir, disait-elle, je l’attends, c’est pour la chandeleur.»
Et, se reprenant à filer, elle entamait de sa voix cassée, une chanson, toujours la même :

J’ai rencontré la Madeleine,
J’ai rencontré la Madelon.
Landérira, rira dondaine.
Landérira, rira dondon.

C’était Guillemette, dont la tête n’avait pu résister à l’émotion causée par l’événement raconté ci-dessus.
La chronique raconte que les habitants du village, en expiation de ce meurtre, firent élever à leurs frais une chapelle non loin du lieu maudit sur lequel on voit encore une roche à laquelle la tradition a conservé le nom de « tombe de la Dame… »

Haut de page

.

Les « Pierres de Minuit »

Les « Mémoires vivantes » du village se souviennent encore de ce que les « Anciens » leur racontaient… C’est ainsi qu’à Montbon et dans les alentours, circule encore une légende…

Tout d’abord, il faut trouver les « Pierres de minuit ». Ne demandez pas aux habitants de la région où elles se trouvent, ils ne vous le diront pas… En effet, ils ne dévoileront jamais l’entrée de leur caverne d’Ali Baba locale… Car il s’agit bien, vous l’aurez compris, d’une histoire de trésor ! Et là, pas besoin de sésame… Non, c’est beaucoup plus simple : Il suffit juste de savoir qu’au premier janvier, au premier coup de minuit, les pierres s’ouvrent… Et quand elles sont ouvertes, il faut descendre l’escalier qui donne accès à un fabuleux trésor !!! Mais attention, plus d’un s’est laissé prendre, car il faut être vite remonté avant que le douzième coup  n’ait retenti…

Source : Madame Carmen LLESERA, Le Paulmet (Près de Saint Martin le Mault)