La Maladrerie

74 habitants dont 33 enfants en 1691
15 m, 56 h en 1901.

C’était jadis le siège d’une colonie de lépreux qui subsista jusqu’au XIXe siècle, transformée en colonie de mendiants connus plus particulièrement sous le nom de Billons.
Tous les habitants de la Maladrerie, dit un acte du 30 septembre 1614 doivent porter sur eux une marque de drap bleu et y mettre les armes du seigneur du Fief, sous peine d’amende.
Nous avons étudié dans une brochure diverses colonies semblables à celle de Lussac*.

Comment finirent les Lépreux, Imp. Nationale, 1903.

Il semble bien que, dès le XVIIe siècle, ceux qui les habitaient n’étaient plus des malades, mais des simulateurs. Ils avaient, en effet, un intérêt primordial à conserver cette qualification de lépreux : c’était elle, en effet, qui légitimait leur vie errante et mendiante, leur droit à la paresse. Ils profitaient de la répulsion que la maladie de leurs ancêtres avait inspi­rée aux villageois pour vivre à leurs dépens, bien plus par la crainte que leur nom faisait naître — ils passaient pour sorciers — que par commisération. Il leur importait donc de ne pas laisser tomber dans l’oubli le souvenir de leur origine et de revendiquer leur qualité de lépreux qui, pour leurs contemporains, imbus de traditions, avait une signification mystérieuse, évocatrice d’un vague effroi.
Ils avaient donc érigé leur misère en profession et, à partir de 1680, nous les voyons prendre dans tous les actes publics la qualité de mendiants ; ceux même qui avaient un métier joignaient son énonciation à cette qualité ainsi, nous trouvons des mendiants et joueurs de violon, des mendiants et journaliers, des mendiants et tailleurs d’habits, des mendiants et tisserands. Ils voulaient indiquer que l’été ils traînaient la besace sur la grande route et que l’hiver ils travaillaient quand leur butin était épuisé.
A Lussac, ils avaient obtenu du roi Henri IV des lettres patentes qui leur conféraient certains privilèges ; nous n’avons pu les retrouver*.

*  Des copies collationnées de ces lettres sont plusieurs fois enregistrées sur les registres du contrôle.

Ce métier de mendiant, les billons de Lussac l’exerçaient Il n’y a pas 50 ans et on conte encore dans le pays les exploits des billons qui mettaient la région en coupe réglée.
Ils partaient deux par deux à la belle saison, traînant derrière eux une somme pour rapporter leur récolte, car en dehors de l’argent, tout leur était bon : blé, laine, chanvre, œufs. Ils allaient ainsi de village en village, l’un jouant du violon, l’autre dansant et chantant une chanson dont voici un fragment :

Ion ! Ion ! donnez-moi un p’tit brouillon de laine (bis)
Ion ! Ion ! dounez-m’en pt ‘ion (bis)
Si vous voulez pas m’en douna, (bis)
Fera creva touta votr’ avoueilla (bis)
Si vous voulez pas m’en douna,
Lesfera touta creva

La chanson variait suivant, la saison et l’objet de la quête et ils avaient des couplets pour le blé, le chanvre, etc. *.

*  Ils chantaient aussi :
Laissez-lu passa,
Lou ladres, lou ladres,
Laissez-lou passa,
Lou ladres de Lussa.

Devant eux, les portes se fermaient, car ils avaient la réputation de faire main basse sur tout ce qui était à leur portée et, en échange, de laisser de la vermine ! Mais que refuser à des gens qui jettent des sorts et peuvent faire crever les moutons ! Devant ce chantage, les portes se rouvraient et les bissacs s’emplissaient. Le métier était excel­lent et ils admettaient comme proverbe que “ besace bien trainade vaut mieux que quatre bœufs à la rave”.
De fait, ils étaient tous propriétaires et les minutes de notaire renferment quantité d’actes les concernant : contrats de mariage, inventaires, testaments, donations, partages, marchés de construction, ventes et échanges, etc. Dans les registres de contrôle, nous avons relevé, de 1750 à 1793, plus de 150 actes où ils sont parties.
Les contrats les plus fréquents sont les obligations pour fourniture du blé : elles se rencontrent surtout à la fin de l’hiver, alors que leurs récoltes étaient épuisées et que la rigueur de la saison ne permettait pas d’aller les renouveler sur les grandes routes. Elles étaient scrupuleusement remboursées à l’échéance.

Les aliénations de terrain étaient aussi nombreuses : nous voyons les lépreux considérer les fonds de la maladrerie comme leur propre patrimoine, les partager et les vendre. En général cependant dans les maladreries, les fonds sur lesquels elles s’élevaient n’appartenaient pas aux lépreux qui ne possédaient qu’un simple droit de jouissance. Celle de Lussac avait-elle une origine différente ou bien à une époque lointaine les lépreux s’étaient-ils emparés de ces biens que personne dans la suite ne songea à leur disputer, ou encore leur avaient-ils été concédés à titre précaire ? Nous inclinons pour cette dernière hypothèse et nous pensons qu’il faut attribuer cette fondation aux seigneurs du Fief. Il n’est point question de la maladrerie dans le terrier de 1412 pourtant précis, tandis que dans celui de 1439 nous trouvons des déclarations rendues par les tenanciers de la Maladrerie notamment par Marcialot le malade. Sans doute à cette époque on ne considérait plus les lépreux tout à tait comme des parias et on acceptait quelques relations avec eux, puisque le seigneur du Fief touche d’eux des redevances en blé, en poules et en argent : il est à croire que c’est entre ces deux dates que les fonds de la Maladrerie ont été accensés aux lépreux. Une énonciation d’un inventaire vient aussi à l’appui de notre hypothèse en constatant « une signification de pièces concernant la Maladrerie faite par le seigneur du Fief à MM. de Saint-Lazare et de Jérusalem en l’année 1681 ”. Ces pièces, que nous n’avons pas retrouvées dans le chartrier de Lussac, prouvaient, sans doute, que les fonds de la Mala­drerie ne dépendaient pas d’une fondation charitable, car on sait qu’à la fin du XVIIe siècle, l’ordre de Saint-Lazare pro­céda, par toute la France, à la recherche des anciennes fon­dations charitables et se fit mettre en possession des biens en dépendant. Or, cet ordre ne posséda jamais rien à Lussac, pas plus que les hôpitaux voisins, qui plus tard, poursui­virent le même but.

Chaque chef de famille était donc propriétaire : un arpen­tage de 1633 constate que la Maladrerie était occupée par 13 familles de mendiants. Certains possèdent jusqu’à cinq seterées de terre.
Chose piquante, au XVIIIe siècle, nous voyons ces mendiants être désignés par leurs compatriotes pour lever les impôts et remplir les fonctions de collecteurs.
Ce n’est que fort tard que ces mendiants s’allièrent au reste de la population. Le premier mariage ainsi rencontré à Lussac est de 1743 ; jusque-là, ils ne se marient qu’avec des habitants de la Maladrerie ou des Maladreries environ­nantes : Limoges, Cluis, Milhac en Périgord, Esdons en Angoumois, etc. De même pour éviter la parenté spirituelle, leurs enfants ne sont tenus sur les fonts baptismaux que par des parents.
Il serait intéressant de savoir à quelle époque disparurent les derniers malades, mais sur ce sujet, nous n’avons rien trouvé de précis : les actes du commencement du XVIIe siècle les qualifient de blanquets, mais on ne peut dire si cette qualification est due à l’aspect que présentait alors leur peau ou si c’est le nom générique sous lequel on continuait à les désigner. Gabriel, Silvain et Madeleine Guillebaud sont appelés ladres dans un partage du 3 fév. 1749. Silvain mou­rut le 31 août 1756 à 56 ans, Madeleine le 12 oct. 1767, à 70 ans, et Gabriel le 16 sept. 1781, à 55 ans ; ce serait le dernier ladre de Lussac.
A en juger par leurs actes de décès, leur lèpre, si toute­fois ils l’avaient encore et si cette qualification de lépreux n’est pas prise dans le but de profiter des lettres patentes de Henri IV, leur lèpre, disons-nous, était des plus béni­gnes et ne les empêchait pas de parvenir à un âge avancé. Sur 23 décès d’adultes survenus à la Maladrerie de 1751 à 1786, 5 se produisent entre 50 et 60 ans, 5 entre 60 et 70 ans, 8 entre 70 et 80 l’un d’eux meurt centenaire le 8 sept. 1756.