Marie Millier, épouse Girard

Mlle Millier, faisait partie des expulsés de la Moselle, non des réfugiés,

« Les allemands nous ont mis à la porte avec 30 kg de bagage. Voilà une partie de notre triste histoire. Heureusement que nous avons trouvé aux Chézeaux des personnes qui nous ont aidés, en nous prêtant surtout des couvertures et des duvets. C’était au mois de novembre 1940, il commençait à faire froid. Ces mêmes personnes sont devenues des amies et nous gardons un excellent souvenir de tous.

Le certificat de Certificat M. THIRYM. THIRY de Phalsbourg vous prouvera que je faisais de la Résistance aux Chézeaux. Pour tous ces Lorrains, enrôlés de force dans l’Armée Allemande, et évadés de celle dernière, c’était moi qui leur procurais leurs papiers. Avec mes parents, nous en avons hébergé plusieurs et ça pendant quelques jours. Inutiles de vous dire, que nous avons tremblé plus d’une fois, car s’il y avait des résistants, il y avait aussi pas mal de traitres et il fallait se méfier.

Pour tous les jeunes des Chézeaux, qui auraient du être au Service du Travail Obligatoire en Allemagne, avec l’accord de M. Aumasson Théodore, Maire des Grands-Chézeaux, nous avons changé les cartes d’alimentation, textiles et autres en changeant les dates de naissance. Il fallait fournir une liste de tous les jeunes gens en âge de partir. Sur cette dernière, il n’y avait que les deux fils Perrin et M. Grandcoin Guy, les pauvres qui étaient tous trois handicapés, donc inaptes au travail.

Je vous communique les renseignements de la journée des Miliciens. C’était le 30 avril 1944 au matin. J’étais encore couchée, en entendant du bruit, je me suis levée et j’ai regardé par la fenêtre, les volets n’étant pas fermés. Quelle ne fut pas ma surprise de voir des fusils sur la galerie d’un bus ! J’ai pensé que l’on venait me chercher, et peut-être mes parents aussi. Mais non, ce qu’ils cherchaient, c’étaient des maquisards qui devaient se trouver dans la forêt de Puy-Laurent. Fort heureusement, ils avaient changé de coin. Ils n’ont trouvé qu’un jeune homme, M. Alateinte Maurice qu’ils ont ramené à la Mairie où il y avait le Maire, M. Aumasson, M. Roussel, M. Bontant le garde champêtre et moi comme secrétaire. C’était un jour de distribution de cartes d’alimentation. Ils n’ont laissé entrer personne le matin. Je pense qu’il n’en est pas venu beaucoup puisqu’ils tiraient à balles réelles dans le haut du bourg des Chézeaux. Lorsqu’ils sont entrés à la Mairie, ils ont remarqué de suite le buste de la République, ils nous ont dit : — Qu’est-ce que cette saloperie fiche encore là ? — Ils l’ont descendue, lui ont passé une ficelle autour du cou, emportée et pendue à un arbre sur la place, puis se sont mis à tirer sur Marianne en riant comme des fous qu’ils étaient.

Ce buste était creux, il nous avait servi de cachette pour nos faux papiers, recensements, cartes d’alimentation et autres. Jusqu’à la veille, oui la veille, je les ai sortis, car il fallait toujours monter sur une chaise, il était temps, car ils auraient découvert le pot aux Roses. Ensuite ils ont collé des papillons sur la table et sur les murs contre De Gaulle et contre la Résistance. Ils étaient tous armés, ça c’était triste car c’étaient des français. Comment en sont-ils arrivés là ? Enfin c’était la guerre, il y avait pas mal de résistants mais aussi beaucoup de traitres.

Ils ont commencé à interroger M. Aumasson, qui avec la mitraillette sur la poitrine, leur répondait du tac au tac.
— « Vous mangez du pain blanc, il y a une raison ? »
M. Aumasson de répondre : « Oui, il y en a une mais je ne vous la dirai pas » « Oh, si vous n’étiez pas si vieux, comme j’aurai déjà appuyé sur la gâchette ! » M. Aumasson « Oh, si je n’étais pas si vieux, comme je vous aurai déjà tous passés par la fenêtre ». Puis, un officier, s’approchant de moi me dit « Mlle nous regrettons de vous faire assister à une scène aussi pénible ».
M. Aumasson, « Ne la plaignez pas, c’est une Lorraine, elle en a vu d’autres avec les « Boches ».
J’étais assise à côté de M. Roussel, et sous la table, nous nous touchions un peu du pied, chaque fois qu’il y avait une altercation, en pensant : nous allons y passer. Nous n’osions même pas nous regarder, ils nous épiaient. M. Aumasson a demandé à boire, car il venait d’être opéré de la prostate. Ils m’ont autorisée à aller chez chercher une infusion, mais encadrée par deux miliciens armés. Quelle triste journée !
Le lendemain étant le 1er mai, ils ont été rappelés de toute urgence à Limoges et sont partis en toute hâte. C’est ce qui nous a sauvé la vie. Nous ne pensions pas en sortir vivants ».

Si Mme Girard, née Müller Marie a des souvenirs aussi poignants et douloureux de cette journée du 30 avril 1944, il en est de même pour beaucoup d’anciens de cette commune qui, à leur tour, ont témoigné, confirmant des faits cités, et apportant d’autres précisions sur la présence et l’activité des Miliciens dans le bourg des Chézeaux et dans les villages.

Le même jour, des Miliciens du même groupe, à la recherche d’un résistant se dirigèrent vers le village de Puychaffrat en direction de la forêt de Puy-Laurent. Dans ce village, M. Magnon Henri-Louis, prisonnier cinq fois évadé, fut prévenu de leur arrivée par une voisine. Il réussit à s’enfuir mais poursuivi il fut blessé, réussissant toutefois à échapper à ses adversaires grâce à sa grande résistance physique mais aussi à sa bonne connaissance des lieux où les Miliciens perdirent sa trace. Il se cacha sous un tas de fagots. Deux jeunes gens, M. Marc Picaux et une amie prévinrent M. Briard Georges et M. Michaud Maximin. Les Miliciens mangèrent à proximité de lui. Il ne put être secouru que la nuit, par M. le Dr. Maillasson, après avoir été transporté au village de Faon dans la commune de Mouhet (Indre).
Pendant leur folle poursuite derrière M. Louis Magnon, les Miliciens tirèrent de nombreux coups de fusils risquant de blesser les gens des villages voisins qui vaquaient à leurs occupations agricoles courantes dans les champs proches de la Forêt de Puy-Laurent. Par représailles, peut-être, ou croyant avoir pris un jeune résistant, ils menacèrent M. Alateinte Maurice, qui se trouvait chez son oncle M. Magnon. Sous la menace, ils conduisirent le jeune homme à la Mairie des Chézeaux où ils le gardèrent à vue une partie de la journée. M. Alateinte Maurice est resté traumatisé par cette épreuve douloureuse.
Mlle Louise Magnon, sœur du précédent, accompagna son neveu en invectivant les Miliciens.
Mlle Magnon « Vous devriez avoir honte d’être français ! » Les Miliciens « Ça mériterait douze balles dans la peau ! » Mlle Magnon « Mais moi, je pourrai crier : Vive la France ! » Heureusement, il n’y eut pas d’autre effusion de sang et M. Alateinte Maurice fut relâché.
Très vite de nombreux cars de Miliciens encadrés par des Allemands cernèrent toute la région aux environs de la Forêt de Puy-Laurent. Ils étaient arrivés au petit jour aux Grands-Chézeaux, une panne les ayant retardés, sinon ils devaient prendre les gens au lit, comme le confirme Mme Chaput Odette.
Toutes les rues principales du bourg étaient également bloquées : devant chez les familles Decressac, Grandcoin…
En arrivant au village de Puy-Laurent les Miliciens croyaient que le taillis, près de la maison Bernard-Périchet, était la forêt de Puy-Laurent. Très nombreux ils demandèrent à Mme Périchet Marie-Louise en la menaçant avec un revolver « Votre mari ». Elle leur répondit « Il est là » et leur expliqua qu’il était parti chercher du bois de chauffage avec un attelage de vaches.
Déjà d’autres le ramenaient. Ils fouillèrent la maison de la cave au grenier sans rien trouver. Toutefois lorsqu’ils étalèrent une carte, Mme Périchet vit nettement sa maison et celle de M. Cédelle Eugène de la Loge, cerclées de rouge. Ensuite, ils rassemblèrent les hommes du village, plus ceux du domaine des Landes qui travaillaient dans un champ voisin. Ils les gardèrent à vue une partie de la journée.
Au même moment un autre groupe de Miliciens revenait de La Clidière à travers champs ramenant un jeune lorrain, domestique dans ce village, qui n’avait pas ses papiers sur lui. Il fallut aller à Bantard prévenir sa mère qui dut venir présenter les documents pour qu’ils le relâchent.
Au bruit des coups de feu certains miliciens partirent en renfort en fille indienne à travers champs en direction de Puychaffrat.
D’autres étaient occupés à fouiller la maison de M. Cédelle à la Loge qui avait été dénoncé comme hébergeant les maquis. Ils n’eurent la vie sauve qu’en raison du courage de Mme Chaput
Odette qui leur affirma « Il n’y a rien du tout ici ». Pourtant, M. et Mme Cedelle ravitaillaient le maquis en eau potable, avec des barriques transportées de la fontaine de La Loge à la Forêt, la nuit avec un attelage tiré par des bœufs. Ils chauffaient aussi le four de la maison pour faire cuire une partie du pain, les galettes, la charcuterie nécessaires aux maquisards. Ils recevaient aussi le courrier à leur nom, parfois sous double enveloppe mais pas toujours. Les résistants vivaient dans la forêt sous des cabanes de branchages, construites par leurs soins. Les miliciens mirent d’ailleurs le feu à certaines d’entre elles.
M. Michaud Alexandre du Moulin de Puy-Laurent, et son neveu M. Chaput Daniel ainsi que plusieurs autres personnes de la région furent embarqués par des Allemands et des Miliciens car ils avaient trouvé un sac de farine vide au nom de M. Michaud dans une région de maquis. Les hommes furent emprisonnés à Limoges. Sans le débarquement en Normandie, ils devaient partir vers les camps de concentration. Leurs familles eurent de rares nouvelles pendant la durée de leur détention.
La maison de M. Michaud fut aussi fouillée et Mme Michaud dut nourrir les chefs.
Certains miliciens restèrent la nuit et circulèrent à la recherche du blessé du matin. Avant leur départ le soir ils dirent « De toute façon, nous ne saurons rien. Tout le pays est Gaulliste ».
Ce départ fut un grand soulagement pour la population locale qui avait craint des représailles car tous les interrogés qui avaient nié connaissaient, ravitaillaient ou participaient à la Résistance.
Une quinzaine de jours plus tard les G.M.R. (Groupes Mobiles de Réserves) revinrent chez la famille Bernard-Périchet pour une nouvelle perquisition inutile, faite illégalement en présence d’un mineur le fils aîné de M. Périchet Élie.
A partir du jour du débarquement, les résistants circulèrent à découvert dans le pays. Après la Libération de Limoges ils récupèrent leurs biens personnels à La Loge, manifestant leur joie en tirant des coups de feu sur les peupliers de la cour du domaine. Les habitants des villages voisins craignirent un retour des Allemands. Heureusement ce n’était pas le cas.