Les fouilles de l’abri sous roche du « Pont-du-Loup »

Par Alex AUFAURE, Jean BONNET, Michel DOMINIQUE et Mau­rice ROBERT.

Ces fouilles ont été l’œuvre, d’une part de la Société d’Ethnographie du Limousin et de la Marche et, d’autre part, de la Société « La terre aux feuilles » dont le siège est à Saint-Sulpice-les-Feuilles (H-V). Nous tenons à remercier tous ceux qui nous ont aidés, tant par leurs encouragements que par leur travail. Il nous faut citer : M. Letourneur, Maire de Saint-Sulpice-les-Feuilles, Conseiller d’État, la Gendarmerie locale, Mlle Dumy, Professeur de Lettres, Mlles Thomas et Lucette Bonnet, étudiantes, MM. Marsiquet, Professeur, et Perraud.

L’abri n’est pas inconnu, il a été signalé en 1909 par M. Calcat de la Couture, Président du Dolmen-Club de Bellac, par M. le Professeur Etienne Patte, Directeur de la circonscription préhistorique de Poitiers, dans son ouvrage : « le Paléolithique dans le Centre-Ouest de la France ». Le Commandant Martignon, regretté Président de la Société Archéologique du Limousin, le connaissait fort bien et fondait l’espoir d’en faire la fouille, si la mort ne l’en avait empêché.

Notions préliminaires

L’abri se trouve :
– Sur la partie convexe d’un méandre où la rivière prend la direction N.-N.E.
– Près de l’ancienne passerelle appelée « Pont au Loup » plusieurs fois emportée par des crues si fréquentes en Limousin.
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II. – Les fouilles

 

Fig. 2 — Coupe longitudinale schématique suivant la ligne A-B du plan,
1ère couche : I. — Terre de bruyère contenant des débris de tulles à rebord ; des briques et quelques fragments de poterie gallo-romaine et plus récente. 1 monnaie médiévale. 1 bronze de marc Aurèle.
2ème couche : II. — Sable ferrugineux. Un foyer en partie creusé dans le sable. La cendre de ce foyer s’est étalée sur une épaisseur irrégulière sur le sol préhistorique. C’est à la base de cette couche à la limite avec le sol préhistorique que l’on a retrouvé : poignards, poteries et principaux silex.
3ème couche : III. — Correspond au sol préhistorique : a été foulée, teinte noire.
4ème couche : IV. — Sable aggloméré, très dur contenant des galets roulés.

Les fouilles ont permis de dégager d’abord la couche de terre végétale mélangée à du sable. Ensuite, une tranchée perpendiculaire à la paroi Est a été ouverte de façon à mettre au jour les couches archéologiques, puis il a été creusé une autre tranchée du Nord au Sud coupant la première. Le reste du travail a été réalisé par décapage horizontal avec un outillage ultra léger. Les rochers détachés de la voûte qui obstruaient le chantier ont été enlevés, mettant au jour quatre couches superposées d’épaisseur assez régulière (fig. 2).

1ère couche : D’une épaisseur de 40 à 45 cm, elle est formée par une terre de bruyère assez noire sans doute amenée par les eaux de ruissellement. Elle contenait :
– des scories vitrifiées provenant des forges détruites au XVIIIe siècle ;
– des débris de briques, de tuiles à rebord, quelques fragments de poteries gallo-romains et d’autres plus récents ;
– un bronze moyen fortement oxydé, portant l’effigie de l’Empereur Marc-Aurèle. L’état de conservation de cette monnaie est fort mauvais, cependant sur le revers presque effacé, il semblait y avoir une victoire ailée ;
– une pièce médiévale totalement oxydée et cassante sur laquelle apparaît une croix. Les inscriptions sont totalement illisibles.

2ème couche : Elle se situe, le niveau actuel du sol étant pris comme niveau de référence, de 45 à 95 cm de profondeur. Elle est constituée par un sable roux ferrugineux. On y aperçoit quelques lentilles de cendre. Il a été mis au jour des éclats de silex (3), des débris de poterie, des grattoirs, des lames, et des poignards de grande taille. C’est à la base de cette couche, près des rochers qui ferment l’abri au Sud, qu’un foyer important a été rencontré. La profondeur atteignait 15 à 20 cm, pour un diamètre de 50 cm. Il était surmonté d’une couche de cendre qui s’était étalée irrégulièrement sur une grande partie de l’abri, lors des crues.
Il est à noter que des éclats de très petite taille (éclats de taille et de débitage sans doute) étaient très nombreux à proximité de ce foyer.

3ème couche : Épaisse de 5 à 10 cm, d’une teinte noire, elle correspond au sol préhistorique foulé pendant l’occupation de cet abri, et elle contient des débris de charbon de bois.
La majeure partie des objets découverts étaient situés à la limite des 2ème et 3ème couches. Deux des poignards et deux des lames se trouvaient côte à côte au centre de la paroi Est et, à très peu de distance, une poterie entièrement reconstituée, un poignard et un couteau à dos abattu étaient ensemble. La pointe de javelot et la pointe de lance (n° 19 et 20, fig. 4), situées au même niveau étaient placées dans une faille des rochers, fermant l’abri au Sud. Le dernier poignard retrouvé à l’extrémité ouest a été mis au jour à la limite des couches 1 et 2 dans de la pierraille. Il y a eu un remaniement des couches lors de la construction du pont dont on retrouve les substructures.

4ème couche : Profonde de 1,10 m, elle est formée par du sable très dur aggloméré, où l’humidité due aux infiltrations de la rivière apparaît. On y remarque quelques galets roulés qui peuvent correspondre au niveau ancien du lit du cours d’eau.

A mesure que la fouille gagne en profondeur, les découvertes deviennent de plus en plus rares jusqu’à devenir nulles au-delà de 1,35 mètre.

Un sondage à 4 m en aval de la partie fouillée (carré de 1 m / 1 m) a permis de retrouver la couche 1 à 60 cm ; au-dessous la couche 2 était semblable à celle de la partie fouillée jusqu’à 1,20 m, profondeur à laquelle s’est arrêté le sondage. Des sables roux, ferrugineux, la constituaient. La couche noire n’a pas été retrouvée. Il est vrai que cette partie de l’abri est séparée de la précédente par un énorme bloc qui a évité le glissement des cendres du foyer. Dans ce sondage, au niveau de la couche 2, il a été découvert :
– des éclats retouchés
– une belle lame
– trois pointes de flèche placées contre la paroi Est qui ferme l’abri.

III. – Description des objets

1°) Les objets lithiques :

Les éclats nombreux près du foyer, ainsi que près de la paroi nord-ouest, comprennent des petites lames, des éclats retouchés.

Figure 3 :

Fig 3

Fig. 3.
1, 2, 3, 4, 5 : petits éclats retouchés.
6 : racloir.
7, 8 : lames retouchées.
9, 11 : grattoirs.
10 : couteau à dos abattu.
12, 13, 14 : pointes de flèches.

N° 1 : petit éclat de silex rouge, finement travaillé, portant une partie de son cortex.
N° 2 : extrémité de lame.
N° 3 et 4 : petites lames en silex rouge, avec quelques retouches.
N° 5 : une pointe microlithique dont l’extrémité porte quelques retouches.
N° 6 : 1 racloir de faible épaisseur avec de très belles retouches.
N° 7 et 8 : grandes lames aux retouches alternes, très fines, qui ont pu être utilisées comme scies comme en témoigne leur dentelure particulièrement soignée.
N° 9 : grattoir sur éclat, de petite taille, portant une partie du cortex. Cet objet a été utilisé jusqu’à la dernière extrémité, car son degré d’usure est très important.
N° 10 : couteau à dos abattu en silex rouge ayant subi l’action du feu, qui porte des cupules d’éclatement.
N° 11 : très beau grattoir en silex rouge, aux retouches adroites et soignées.
N° 12 : pointe de flèche en silex blond, tiré d’une petite lame.
N° 13 et 14 : pointes de flèche à pédoncule et ailerons, dentelées.
La pointe de flèche n° 15 possède une patine blanche qui laisse apparaître en un endroit la couleur d’origine du silex.
La flèche n° 14 de même technique que la précédente a été cassée, faisant disparaître pédoncules et ailerons.

Non dessinée sur les planches, il existe dans cette fouille une belle lame retouchée sur tout son pourtour, malheureusement brisée en plusieurs morceaux, mais presque tous retrouvés, permettant une reconstitution partielle de l’objet. Cet outil a pu être aussi bien utilisé comme racloir que comme grattoir ; il porte également une partie du cortex comme beaucoup de pièces trouvées au Pont-du-Loup, il a subi l’action du feu, qui a provoqué des cupules d’éclatement (4).

Figure 4 :

Fig 4

Fig. 4.
15, 16, 17, 18 : poignards ; javelot, lance .
21, 22 : débris de grande lames.

N° 15 : glande lame de 203 mm ; épaisseur 4 mm, largeur maximum 30 mm. Elle est retouchée sur son pourtour et a été utilisée comme couteau ou poignard.
N° 16 : lame de 206 mm de long, 26 mm de large, épaisse de 4 mm. Ses retouches parfaites en font un objet de la plus belle technique et de la plus belle qualité.
N° 17 : cette lame est la plus belle de toutes les pièces recueillies dans la fouille. Longueur 225 mm, largeur 35 mm, épaisseur 6 mm.
N° 18 : belle lame de 220 mm de longueur, 29 mm de largeur et 7 mm d’épaisseur ; elle est par sa facture semblable aux pièces précédentes.
N° 19 : fragment important d’un très grand javelot. Il est à remarquer que sa retouche est plus frustre. L’objet atteint une épaisseur de 15 mm et son aspect est plus robuste que celui des objets qui ont été décrits.
N° 20 : il s’agit d’une javeline presque complète, en silex de même origine que les grandes lames. Elle est d’une finesse rarement atteinte dans les objets (outils) de cette époque, qui pourtant sont souvent fort beaux. Son pédoncule fort net est malheureusement cassé. Malgré le tamisage constant de toutes les couches il n’a pas été possible de retrouver les morceaux.
N° 21 et 22 : fragments de lames en silex de même nature que celui des objets précédents, appartenant probablement à des poignards.

2°) Les Poteries.

Fig. 5.
23 : poterie reconstituée entièrement ;
24, 25 : profil probable de deux autres poteries.

Dans la partie de l’abri où se trouvaient un des poignards décrits, le couteau à dos abattu, 1 grattoir (N° 15, fig.4, et n° 10-11, fig. 3), il a été mis au jour une poterie brisée, dont tous les morceaux ont été recueillis, ce qui a permis une reconstitution totale. Ce récipient au fond arrondi a les dimensions suivantes : diamètre 125 mm, hauteur 102 mm (fig. 5, n° 23).
Cette poterie soigneusement lissée, d’une couleur qui varie du marron clair au noir est irrégulière et porte des traces d’empreintes laissées par les doigts du potier. La cassure laisse parfois apparaître des grains de quartz assez volumineux, utilisés comme dégraissant.

Les poteries 24 et 25, fig. 5, bien que n’ayant pu être reconstituées entièrement, appartiennent au même type que la précédente ; leur allure et leur couleur sont absolument semblables.
La poterie 24, représentée par la figure 5, a un diamètre inférieur à celui de la précédente ; elle atteint 105 mm ; sa pâte est plus grossière et atteint une épaisseur maximum de 6 mm. Quant à la poterie 25, fig.5, un important morceau a permis d’en tracer la forme générale : ses dimensions étaient : diamètre 175 mm, hauteur 96 mm, épaisseur de la pâte (qui est assez grossière), 10 mm.
un fragment important de vase ayant une pâte semblable à celle des vases précédents a aussi été trouvé, mais une particularité se présente : le récipient avait un fond aplati. Quelques débris sans grand caractère ont été découverts pendant la fouille. La ténuité des tessons ne permet pas d’imaginer la forme des vases

III. – Interprétation des vestiges

L’aspect des trouvailles, leur position ne sont pas sans rappeler les découvertes faites par MM. P. et G. Deffontaines à l’abri de Villeforceix, commune de Cieux, dans la couche située entre – 40 et – 50 cm, qu’ils décrivent en ces termes (5) :
« La partie centrale, non occupée par les tombes localisées à la périphérie comme si elles entouraient un cella où se faisaient les cérémonies funèbres autour de feux de bois qui ont laissé des amas de cendre. »

Notre premier mouvement fut de croire en la présence de sépultures. Cependant, il faut remarquer que les trouvailles ne se limitent pas à celles qui ont été faites à proximité du foyer. Le sondage, dans la 2e partie de l’abri, éloigné du foyer a lui aussi livré des poteries, des flèches et des lames dans la couche de sable où n’apparaissait pas le tracé noir de la troisième couche de l’abri. L’absence de débris humains (nombreux à Villeforceix et à La Lieue, commune d’Ambazac, la carbonisation ayant facilité la conservation), d’objets de parure (perles par exemple…) semblerait prouver que l’abri a été occupé sporadiquement par les hommes du bronze ancien qui remontaient la vallée de la Vienne et ses affluents, comme le justifie le silex du Grand-Pressigny qui a servi à la confection de la plupart des pièces. Les poignards (dont la découverte est rare en Limousin) (6), les poteries, les pointes de flèche, placées près des bords de l’abri ou dans des failles de rochers, font plutôt penser à des caches, ou à des objets abandonnés par les préhistoriques. A notre avis, l’abri a été habité occasionnellement entre deux crues par les hommes du Bronze ancien venant du Grand-Pressigny ou des régions voisines. Il est à remarquer que les trouvailles en surface dans la région de Saint-Sulpice-les-Feuilles sont très nombreuses, et que la nature du silex entrant dans la fabrication des objets est la même que celle utilisée dans l’abri du Pont-du-Loup. Tout semble prouver que cette région a été occupée d’une manière assez dense durant cette période de la préhistoire. L’antiquité des objets découverts pose elle aussi un problème ardu, car les trouvailles en place de la Haute-Vienne sont encore très rares. Le mobilier ressemble à celui qui a été si souvent découvert dans les dolmens de la Haute-Vienne, de la Charente et de la Vienne (ainsi que dans les grottes sépulcrales), et appartient, nous le pensons, à ce que MM. Burnez et Bailloud ont classé dans la Civilisation du Bronze ancien, qu’ils ont appelée Civilisation d’Artenac. Là, il semblerait pourtant y avoir un faciès local qui rappellerait un chalcolithique attardé qui, chronologiquement, doit avoir la même antiquité que les découvertes faites à Puychaud et La Lieue.