Il était une fois un roi qui avait une fille et qui voulait la marier à M. de Montazel, le seigneur d’un de ses villages. Mais la princesse répondait toujours qu’elle n’en voulait à aucun prix, même pour qu’il lui cire ses souliers.
Ne pouvant marier sa fille à personne tant que celle-ci dédaignait les rangs inférieurs au sien, le roi fit savoir qu’il la donnerait à celui qui reconnaîtrait une «chose » mystérieuse soumise aux prétendants.
(Pour ne rien cacher à ceux qui m’écoutent, je dirai que c’était tout simplement la peau d’un pou farci. Allez donc découvrir une chose pareille !).
Mais le roi était si content de son idée, qu’il s’esclaffait souvent à sa fenêtre, riant d’avance de la tête des prétendants gendres. Il riait si fort et se disait si haut la réponse que M. de Montazel qui, justement, traînait par-là pour apercevoir la princesse, le sut avant tout le monde.
Le jour où le roi fit venir tous les seigneurs de ses villages pour deviner, M. de Montazel arriva déguisé en mendiant, monté sur un âne et dit qu’il était le seigneur des gueux du pays.
Son tour venu, il répondit juste et fut le seul gagnant. Le roi fit une grimace. Quant à la princesse, elle s’évanouit de dégoût.
Le roi fut bien obligé de donner sa fille au seigneur des gueux et celle-ci de l’accepter.
Elle monta sur l’âne et partit à son destin.
Pendant le trajet, ils traversèrent de riches terres et la princesse demandait entre ses larmes à qui elles appartenaient.
– A un bien riche et doux seigneur, répondit le mendiant avec envie, ce sont les biens de M. de Montazel.
Alors la princesse regretta de ne pas avoir marié M. de Montazel.
Ils arrivèrent à une petite cabane de pierre sans ciment. Le mendiant dit à la princesse qu’il n’était pas riche et qu’il faudrait qu’elle aille travailler comme dernière domestique chez M. de Montazel.
Elle n’osa pas refuser à ce prétendant qui l’avait gagnée loin devant les autres et alla s’offrir au majordome de M. de Montazel.
Celui-ci l’engagea mais l’avertit qu’elle serait destinée aux plus basses besognes et à commencer par les soins des pieds du seigneur, c’est-à-dire d’enlever et de cirer les bottes de M. de Montazel.
Bien sûr, elle ne reconnut pas son mendiant de prétendant et fut presque joyeuse de cirer les bottes de M. de Montazel qui lui parut bien bel homme en comparaison de son lot
Chaque soir, elle repartait à la cabane glacée de son mendiant alors que de grosses bûches donnaient leur chaleur au château de Montazel où elle avait tout de même la chance de pouvoir une fois par jour cirer les bottes du seigneur.
Mais M. de Montazel n’était pas vengé pour autant du mépris de la princesse. Un soir où il donnait un festin et où cette dernière servait, il fit mettre de la viande dans sa poche de tablier et demanda qu’on la fouille avant de partir.
Là, elle fut publiquement traitée de voleuse à sa grande honte et dut demander pardon à genoux à M. de Montazel.
Fidèle à son mendiant pour tenir la parole de son père, malheureuse de vivre entre la misère noire et le luxe doré, la princesse commençait à se rider de larmes.
Un soir, M. de Montazel ordonna à ses femmes de chambre de la mettre dans son lit. La malheureuse, s’attendant à de nouvelles vexations, n’y entra pas et se tint dans un coin à grelotter d’inquiétude.
M. de Montazel arriva, grimé en mendiant, et dévoila son subterfuge.
Et elle les aima tous les deux.
Voilà comment finit l’histoire de cette princesse que m’a souvent racontée ma grand-mère qui était également au service de M. de Montazel, autrefois, comme jeune servante de table.