Territoire de la Terre aux Feuilles

La Révolution, en brisant les anciennes provinces, respecta les limites des paroisses, unités administratives, et nos modernes communes représentent exactement les paroisses primitives. Dans notre canton, nous ne trouvons de modification à cette coutume générale que pour la commune d’Arnac, laquelle abandonna à La Souterraine le village des Vergnes et lui prit Champlong dont, au reste, la situation était contestée.
Puis, plus tard, en 1847, Saint Georges les Landes perdit, au profit des Grands Chézeaux, les villages de Puylaurent, la Clidière La Loge et Puychaffrat, modification qui, s’exerçant à l’intérieur de l’ancien territoire de la Terre aux Feuilles, n’en modifia d’ailleurs pas les contours.
Bref, la Châtellenie primitive de la Terre aux Feuilles se composait presque exactement des territoires des six communes actuelles, de Saint Sulpice, Saint Georges, Les Chézeaux, Mailhac, Cromac et Arnac.
Mais il convient de rappeler que, (vraisemblablement au cours du XVe siècle), la Terre aux Feuilles fut amputée de la plus grande partie de la paroisse d’Arnac. La partie nord continuant à appartenir à cette châtellenie, relèvera, jusqu’à la Révolution administrativement de Bourges et judiciairement de Montmorillon. La partie Sud, quittant la Terre aux Feuilles pour s’annexer à la châtellenie de Magnac, dans la Basse-Marche, deviendra à son tour châtellenie (dès 1525), puis baronnie (en 1653), tandis que la châtellenie de Magnac était, de son côté, érigée en marquisat. Cette partie Sud de la paroisse d’Arnac relèvera alors administrativement de Limoges et judiciairement du Dorat.

1) Premiers seigneurs particuliers de la Terre-aux-Feuilles.

Ayant déterminé dans les précédents chapitres ce que fut le territoire de la primitive châtellenie de la Terre aux Feuilles, il nous faut maintenant rechercher quels en furent les premiers seigneurs particuliers.
L’arrêt de 1401 expose qu’à l’origine la Terre aux Feuilles comprenant six paroisses et six châteaux, avait appartenu à un seul seigneur et que, dans la suite, elle s’était divisée en plusieurs parts. Pour trouver le nom de ce possesseur de l’ensemble de la Terre aux Feuilles, il convient, par suite, de passer en revue les noms des seigneurs successifs connus de ces six châteaux primitifs. Si nous rencontrons un même nom de famille porté par des possesseurs de châteaux différents, ce nom sera vraisemblablement celui du premier et unique seigneur de la Terre aux Feuilles, dont ces divers possesseurs seront les descendants et les héritiers.

1) Mondon.
A la fin du XIVe siècle, le seigneur de Mondon mentionné dans l’arrêt de 1401 est Guillaume de Naillac (Guillermum de Neilhaco), lequel nous est bien connu. Surnommé « Le Preux », il commanda en 1386 l’armée envoyée en Espagne au secours du roi de Castille ; il fut ensuite gouverneur de la Rochelle et mourut en 1406, après avoir épousé en secondes noces Jeanne Turpin, que certains généalogistes qualifient de « dame de Mondon ». Ce Guillaume descendait d’Élie de Nailhac (alias Naillac), mort avant 1309, appartenant à une grande famille de chevalerie, et qui avait reçu Mondon de sa femme Philippe, qu’il avait épousée aux environs de 1290.
Cette Philippe « dame de Mondo » était fille de Imbert de la Feuille, chevalier, seigneur de Mondon, « Hyberti Folii militis, domini de Mundon », mort avant 1277, lui-même petit-fils d’un autre Imbert de La Feuille et d’une dame de La Rippe, ainsi qu’il appert d’un testament établi en 1277 par Hysembert de La Feuille, abbé du Dorat. C’est ce testament qui a fait l’objet d’une importante communication de M. Jacques de Font-Réaulx, publiée dans le «Bulletin Philologique et Historique du Comité des Travaux Historiques et Scientifiques », et à laquelle nous avons puisé une précieuse documentation.
En résumé, vers le milieu du XIIIe siècle, Mondon, siège de la primitive châtellenie de la Terre aux Feuilles, était entre les mains de la famille La Feuille.

2) Piégut.
Lors du procès terminé par l’arrêt de 1401, le seigneur de Piégut est Guillaume Pot (Guillermum Pot), chevalier. Ce Guillaume, seigneur de Champroy, Puy-Agu (Piégut), la Prugne, était fils de Raoul Pot, seigneur de Champroy, au sujet duquel M. de Chamborant, dans sa Généalogie de la Maison de Pot, signale
«Accord en latin entre Messire Raoul Pot, Chevalier, Dame Radegonde de la Failhe, son épouse d’une part ; Messire Guillaume de La Failhe-Renant, Chevalier, seigneur de Puyagu, Dame Limosine du Breuil, sa femme d’autre du Mercredi jour de l’Annonciation de la Bienheureuse Vierge 1298 ».
Ainsi, d’après ce texte, Raoul Pot tiendrait Piégut de sa femme Radegonde « de la Failhe », fille de Guillaume « de La Failhe-Renan ».
La plupart des historiens postérieurs à M. de Chamborant, puisant leur documentation dans l’ouvrage de celui-ci, reproduisirent cette indication : ce furent, par exemple « en 1860, M. E. de Beaufort (sauf qu’il orthographie de La Faille Renan ) » ; en 1889, M. A. de La Porte ; en 1907, M. Drouault. Mais un historien plus ancien, mort en 1775 et qui, par suite, n’avait pu tirer ses renseignements de la « Généalogie de la Maison de Pot », parue seulement en 1782, nous indique, pour la femme de ce Raoul Pot, un nom quelque peu différent. Il s’agit de l’abbé Nadaud qui, ayant consacré sa vie à recopier des documents relatifs à l’histoire du Limousin, nous a conservé le souvenir d’une quantité de pièces aujourd’hui disparues. Dans son Nobiliaire du diocèse et de la généralité de Limoges, il écrit que Raoul Pot passa avec sa femme, un contrat avec Limozine du Breuil, veuve de Guillaume de La Foilhe, en 1298. (Il s’agit donc bien de l’accord en latin signalé par M. de Chamborant et passé en 1298). Et, plus loin, l’abbé Nadaud note que Raoul Pot épousa Radegonde de la Foilhe.
« de La Foilhe » est une forme ancienne et probablement en dialecte d’oc (d’après Littré, « Feuille » en provençal, se dit encore « Fuoill, Fohl, Fohla, Foilla, etc.) du mot en « Feuille », forme qui est, d’autre part, à rapprocher du nom de la Terra au Foylhe » (Acte concernant Hélion de La Porte, seigneur de Jançay, aux Archives Départementales de la Haute Vienne), d’un document de 1254. C’est là certainement la traduction du mot latin Folii, qui devait figurer dans le texte original, d’autant que ce dernier est de 1298 et que, nous le verrons plus loin, tous les personnages de la famille que nous étudions, sont désignés uniquement au XIIIe siècle par ce terme de « Folii ».
Bref, la femme de Raoul Pot serait une « de la Feuille » ou de Failh et Piégut aurait ainsi appartenu primitivement à cette maison.
Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par le fait suivant : On sait, par suite d’une allégation formulée par les seigneurs de Piégut vers 1760, qu’à l’origine la Terre aux Feuilles n’avait été divisée qu’en cinq parts Piégut et Lavaupot (anciennement La Vau), ne formant qu’une seule part qui fut partagée par la suite.
Ce fut donc la même famille qui posséda au début Piégut et La Vau et nous verrons plus loin que, peu avant 1406, la dame de La Vau était une Sybille Lafeuille.
La famille possédant Piégut, étant la même que celle possédant La Vau, était donc bien celle des La Feuille.

3) Les Chézeaux.
Dans l’arrêt de 1401, Olive de Saint Georges est dame de Luseret et des Chazeaux ; en 1410, la même est dite dame de la « Tour-Saint-Vourie et de la terre des Chazeaux ». Mais nous ne savons rien sur les précédents possesseurs de cette seigneurie.

4) Solignac ou Soulignac
Dans le même arrêt de 1401, Dauphine est dame de Solignac, mais nous ne connaissons aucun document antérieur.

5) Oreix.
Toujours dans l’arrêt de 1401, Mérigot Bracheix est seigneur d’Oreix, mais nous ne savons rien de plus ancien sur ce fief.

6) La Vau (qui deviendra plus tard La Vau-Pot).
L’Arrêt de 1401 mentionne Guillaume Aubert (Guillermum Auberti), lequel était seigneur de La Vau.
Ce Guillaume Aubert (alias Albert, ou Herbert) avait épousé Sybille La Feuille, morte avant 1406, et qui lui avait apporté ce fief de La Vau.
Avant 1401, il avait affermé la seigneurie de La Vau « sauf le lieu et place du chastel fondu ».
En 1406, Guillaume Herbert (ou Aubert), veuf de Sybille, dame de Lavau, baillait à rente « la méson et moullins de Lavau »
M. Drouault, qui nous rapporte ces faits, écrit « Lafeuille » ou « Laseille ». Mais cette dernière forme est erronée et paraît provenir d’une lecture fautive d’un manuscrit dans lequel les S étaient tracées à peu près de la même façon que les F, chose fréquente à une certaine époque.
L’auteur considère d’ailleurs lui-même la forme « La Feuille » comme étant la bonne, puisqu’il ajoute en note « Un géraud La Feuille est, en 1154, prévôt de Saint Benoît du Sault ».
Bref, à la fin du XIVe siècle, le château de La Vau est, lui aussi, aux mains d’un membre de la famille des La Feuille.

En conclusion, parmi les six châteaux primitifs de La Terre aux Feuilles, trois ne nous donnent aucun renseignement sur leurs seigneurs antérieurs à 1401.
Par contre, les trois châteaux de Mondon, de Piégut et de La Vau apparaissent comme ayant jadis appartenu à des membres d’une même famille, celle des La Feuille ou de La Feuille, et il paraît, par suite, légitime d’en conclure que le possesseur de la châtellenie d’origine avait été, lui aussi, un La Feuille.
La Terre aux Feuilles serait, donc la terre possédée jadis par plusieurs membres de la famille La Feuille. Mais, avant d’adopter définitivement cette manière de voir, il convient, pour plus de sûreté, d’examiner quelles furent, au cours des siècles, les différentes formes données, d’une part, au nom de la Terre des Feuilles, d’autre part, au nom de la famille La Feuille.

2) Origine du nom de la Terre aux-Feuilles

a) Différentes formes du nom de la Terre aux Feuilles

– Textes latins.

1° Terra Foliorum 1277. – Testament de Hysembert de la Feuille (Hysembertus Folii), abbé du Dorat, dans lequel celui-ci fonde un anniversaire dans chacune des églises de la Terre aux Feuilles « Unicuique ecclesiarum de Terra Foliorum ».
1295. – Transaction concernant l’abbaye d’Aubignac, passée devant Pierre Sudat, curé de « S. Sulpicii Terra Foliorum »
1401. – Arrêt du Parlement maintenant les seigneurs de la Terre aux Feuilles « Terra Foliorum » dans leurs droits de justice.
1404. – « Terra Foliorum » accompagnant le nom de Saint Sulpice.

2° Terra ad Folia 1419. – Arrêt du Parlement sur une contestation au sujet de la cure de Saint Sulpice. « Sancti Sulpicii de Terra ad Folia ».

– Textes français.

1° Terra aux Foylhes 1254. – Acte concernant Hélion de La Porte, seigneur de Jançay, rédigé en langue vulgaire (dialecte d’oc) et dans lequel il est question de trois boisseaux de seigle « a la mesura de la Terra au Foyles ».

2° Terre aux Fuylhes 1332. – Contestation entre les sergents du Vicomte de Brosse et les Seigneurs de la « Terre aux Fuylhes ».

3° Terre aux Fueilhes 1446. – Nom de Saint Sulpice Les Feuilles en 1466 « Saint Soulpize en la Terre aux Fueilhes ».

4° Terre aux Feuilles 1402. – Nom de Saint Georges Les Landes en 1402 « Saint Georges Terre aux Feuilles ».
1449. – Hélion de la Celle donne à bail la terre de « Janceys en La Terre aux Feuilles ».
1482. – Nom de Saint Sulpice en 1482 : « Saint Sulpice Terre aux Feuilles ».

b) Différentes formes du nom de la famille La Feuille

– Textes latins

1° Folium 1112. – Le premier document relatif à cette famille qui soit parvenu à notre connaissance, date de 1112 et concerne « Isambertus cognomento Folium ».
Folium est donc primitivement un surnom qui suivant un usage extrêmement fréquent, deviendra plus tard un patronymique. Ce nom, en français, sera Feuille ou La Feuille (traduction du latin «Folium »).
M. de Font-Réaulx a adopté la forme « Feuille » et intitulé sa communication « Testament d’Isembert Feuille, abbé du Dorat ». Pour notre part, nous avons préféré la forme « La Feuille », pour des raisons qui seront exposées plus loin.
Cette forme latine « Folium », est usitée dans la première moitié du XIIe siècle.

2° Folia, vers 1110-1120. – Les deux formes « Folium » et « Folia » sont appliquées indistinctement sur deux actes différents des environs de 1137, aux deux mêmes personnages, Isembert et son fils Geoffroy.
Ils sont donc équivalents, de même qu’ils sont synonymes en latin et traduisent le même mot français, qui ne peut être que Feuille ou La Feuille. Cette forme Folia, comme la précédente, se rencontre dans la première moitié du XIIe siècle.

3° Folio, 1138-1277. – Cette forme usitée dès 1138, conjointement avec la forme « Folia », se trouve appliquée au même Umbert, chanoine, puis prieur de Bénévent, dans différents actes de la première moitié du XIIe siècle. Elle reste la seule usitée au XIIIe.
Génitif du mot « Folium », elle doit traduire le nom français « de la Feuille ».

– Textes français

1° La Fola, vers 1080-1105. – Umbert La Fola, prévôt d’Evaux, est témoin d’une charte d’Archimbaud III de Bourdon, donc vers 1080-1105.

2° La Folla, 1222-1223. – Charte de Boson La Folla, confirmant à l’abbaye d’Aubepierre les droits que celle-ci avait acquis sur les biens de la mère dudit Boson.

3° La Fuilla, 1247. – Pierre de Prosse, chevalier, lègue sa villa de Banne, dans la paroisse de Cromac, à Guillaume La Fuilla, chevalier.

4° De La Foilhe. – Cette forme ne figure pas, à vrai dire dans un acte original, mais dans la traduction d’un acte original en latin de 1298, traduction faite à une époque que nous ignorons.

5° La feuille, 1406. – Sybille Lafeuille, épouse de Guillaume Herbert (alias Albert ou Aubert), dame de Lavau, morte peu avant 1405.
M. Drouault indique également une forme « Laseille », qui provient vraisemblablement de la lecture fautive d’un manuscrit dans lequel les lettres S et F sont tracées de façon presque identique. M. Drouault considérait d’ailleurs lui même la forme « Lafeuille » comme la forme vraie, car il ajoute en note : « Un Géraud La Feuille est en 1154 prévôt de Saint Benoît du Sault ».

En résumé, les formes latines Folium, Folia et Folii correspondent aux mots français Feuille, ou La Feuille et de La Feuille. Les formes françaises comportant toutes l’article (La Fola, La Folla, La Fuilla, de La Foilhe, La Feuille), nous adoptons la forme La Feuille ou de La Feuille (suivant les époques).