Tuer le cochon

Texte écrit et traduit par Mme Colette Marsaud

Pendant daus siècles t’chouâ l’goret correspondeu à la vé à un besoin et à une feite. Un b’soin car yaveu qu’le lard de goret qu’on conserveu din la sau. Une feite car tout l’monde se  réunisseu et s’entrédeu peure t’chouâ l’goret. Qu’éteu souvent l’hiver qu’on t’choueu l’goret  peure mieux conservâ l’lard et l’ salâ. N’aublidin pas qu’l’au frigos, lau congélateurs n’sont arrivai chez nous qu’din las annandes soixante veire soixante dix. Din las grandes familles laus houmes t’chuian 2 à 3 gorets par annade. Quant’que feuseu chaud la viande refroidisseu din las caves ou dans l’endroit l’plus freiche d’la meison. Une branche de jeun’brin, din la pièce, dégageu une audeur qu’repousseu las mauches. Pendant des siècles, « tuer le cochon » correspondait à la fois à une nécessité alimentaire et à une fête. . Une nécessité, car seule la viande de porc était conservée par salaison, puis séchage pour les jambons. Une fête, car famille et voisins se réunissaient pour tuer le cochon, travailler et s’entraider. La période hivernale, moins chargée de travaux des champs, convenait à cet évènement. L’hiver permettait aussi de conserver la viande à une température correcte, avant de la transformer et de la saler. N’oublions pas que les réfrigérateurs et congélateurs ne sont apparus dans nos fermes que dans les années 1960 voire 1970. Dans les grandes fermes les hommes tuaient deux à trois cochons par an. En période estivale, la viande « refroidissait » dans les caves ou, du moins, dans le lieu le plus frais de la maison. Une branche de genévrier, placée dans la pièce, dégageait une odeur qui repoussait l’intrusion des mouches !
 Avant le jour fatidique de son exécution, le cochon choisi à cet effet, était l’objet des soins de toute la famille.
Peure naurrir l’goret, las famnes prépariant la beurnade din la chaudière à goret en fonte. Patates, carottes, chaux raves, étruges, teites de faugères, de l’aigue peure queure et qu’éteu la beurnade. La boune audeur s’sinteu d’loin. Quand la beurnade éteu queute, qu’éteu pas rare d’en tirâ daus mourcés d’patates peure lau mangeâ avec d’la creime chauffade. Pour nourrir le porc, la fermière préparait et cuisinait régulièrement la « beurnade » dans la grande chaudière aux cochons en fonte. Pommes de terre, carottes, choux raves, navets, feuilles de choux, orties, têtes de fougères printanières, additionnées d’eau pour favoriser la cuisson, composaient « la beurnade ». Que de bonnes odeurs se dégageaient de cette chaudière ! Après cuisson il n’était pas rare d’extraire quelques légumes à consommer en robe des champs, par la famille, celles-ci accompagnées d’une bonne crème chauffée : quel goût merveilleux, jamais retrouvé ! « Une madeleine de Proust » !
D’in l’auge la beurnade éteu mélangeade à dau son, dau p’tit lait, dau lait, ou même de l’aigue de veisselle : « on n’engreisse pas laus gorets à l’aigue quiaire ». Dans l’auge, la « beurnade » était servie au porc avec du son, du petit lait, voire du lait ou même l’eau de la vaisselle, sans produit chimique à l’époque. L’expression « on n’engraisse pas les cochons à l’eau claire » résume bien cette préparation.
La veille de l’ t’chouâ, l’goret éteu mé à la diète et plaçai su d’la litchière prop’ peure qu’où se salisse pas. Pendant queu temps laus houmes affutian laus coutés et las famnes prépariant las marmites. Qu’éteu taujours laus houmes que t’chuian l’goret. Le saingne goret permetteu d’caupâ la carotide tandis qu’daus bras costauds teniant la béte. Une famne présenteu la peile peure récupérâ l’sang peure préparâ laus boudins. Après l’goret éteu greillai avec d’la paille peure enlevâ laus pouèls. Peure nettouyâ sous las pattes laus houmes utilisian das p’tites pougnades de paille, las vicous. La coaine éteu lavade, frottade avec dâs bouettes d’conserve qu’avian étâde perçâdes avec daus quia’ouv ou bin avec daus morcé d’tiles, laus tilos. Nettoyai, l’goret éteu accrochai au pendoué mé sur une échale la teite en bas. La veille de sa mort, le cochon était mis à la diète et placé sur une litière propre afin qu’il se salisse le moins possible. Pendant ce temps, les hommes aiguisaient les couteaux, tandis que les femmes préparaient les ustensiles de cuisine nécessaires.
Le jour dit, il incombait aux hommes de tuer le cochon. Un couteau à longue lame, « le saigne cochon », permettait de couper la carotide en un geste sûr tandis que des bras solides bloquaient l’animal. Une femme présentait la poêle afin de recueillir le sang qui jaillissait et servirait à préparer les boudins. Ensuite, le porc était grillé avec de la paille pour détruire les soies. Pour nettoyer sous les pattes de l’animal, les hommes utilisaient de petites poignées de paille : « les vicous ». Ici, la tradition voulait que l’on demandât à un enfant s’il avait un couteau à prêter. S’il ne réfléchissait pas et se laissait piéger, il retrouvait son couteau dans l’anus du porc ! Ceci provoquait les fous rires de l’assemblée et souvent les pleurs de l’enfant auquel le couteau, dûment nettoyé, serait remis par la suite. Le nettoyage du cochon progressait. La couenne était lavée, frottée avec des boîtes de conserve, percées au préalable avec des clous, ou même avec des morceaux de tuile, « les tuilots ». Nettoyé, l’animal était ensuite accroché au pendoir et mis sur une échelle, la tête en bas.
Le saingne goret permeutteu d’auvrir la béte et deu retirâ toutes lâs tripes, la teile d’ ventre qu’servireu a env’loppâ laus pâtés d’foie. La peudrouille vidade, soufflade, maise à seuchâ servireu de vessie à giace peure laus malates. Peure mieux la décaupâ la viande cailleu, refroidisseu jusqu’au lend’main. Le « saigne cochon » permettait d’ouvrir le corps de la bête et d’en retirer les boyaux, le foie, le cœur, les poumons, la toile de ventre ou péritoine qui servirait à envelopper les pâtés de foie le lendemain. La vessie vidée, soufflée, emplie d’air, mise à sécher, servirait de vessie à glace en cas de maladie. Jusqu’au lendemain, la viande caillait, refroidissait, devenait ferme pour mieux la découper.
Dés qu’lâs famnes avian lâs tripes, elles lâs vidian, lâs dévirian, lâs grattian au couté et lâs lavian à la rivière été coume hiver. Yen aveu taujours une peure soufflâ din lâs tripes peure veir si elle étian perçades. Lâs famnes préparian laus bouydins avec le sang, le lard hachai au couté, laus ignons, l’thym, l’laurier, la sau, dau poivre, lâs épices et un p’tit verre de gnole. Falleu goutâ peure vérifiâ l’assaisounement. Quant ou falleu prenre la m’sure, toutes lâs famnes rigolian : «falleu pas prenre qu’elle dau pet’chiau, qu’éteu trop court » ! Fau dire euci que daus échanges se feusian avec laus voisins, falleu étre coume laus autres. Queuqui qu’se feuseu remarquâ, receveu lu eussi daus boudins d’la même mesure. Quand la m’sure éteu décidade, une famne glisseu la boudinière din un bo-yau nouâ à l’aut’ bout et l’remplissai. Une aute famne noueu un fiou de loin en loin sur le bo-yau plein peure formâ laus boudins. Peure feire partir las bulles d’air que restian laus boudins étian piquai avec une épinguieu Dès que les boyaux leur étaient remis, les femmes les vidaient, les déviraient, les grattaient au couteau et les lavaient à la rivière. L’une d’elles avait la charge de souffler dans chaque boyau pour vérifier s’il n’était pas percé. Le lendemain, les femmes préparaient les boudins avec le sang récupéré la veille, la viande hachée au couteau ou avec le hachoir manuel à manivelle fixé sur une table, les oignons, le thym, le laurier, le sel, le poivre, les épices et même un petit verre d’eau de vie de pays . Il fallait goûter afin de vérifier l’assaisonnement. Autre source de plaisanterie, il fallait donner « la mesure » ou longueur du boudin. Les femmes en décidaient tout en plaisantant « il ne faut pas prendre celle du bébé : c’est trop court ! ». En outre, des échanges de boudins avaient lieu entre voisins et, il était de coutume, de rester dans une norme correcte. Le voisin qui dérogeait à cette tradition se retrouvait , un peu en représailles, avec des boudins de taille identique, donc plus petits. Quand cette décision de « la mesure » était prise, une femme glissait la « boudinière » (sorte d’entonnoir métallique réservé à la préparation des boudins) dans un boyau noué à l’autre extrémité, et le remplissait de la préparation. Une autre femme nouait un fil de loin en loin sur le boyau plein, constituant ainsi les boudins. Afin d’évacuer les bulles d’air qui se formaient, les boudins étaient piqués avec une épingle.
Pendant qu’eu temps din la grade marmite en fonte pendude à la crémaillère de la cheminade lâs légumes mijotien din l’aigue. On y metteu laus boudins din une aigue que frémisseu. L’aigue bouillante aureu fai crevâ laus boudins. Quand laus boudins étian queu n’los mettian su de la paille freiche pausade sur la tabi’eu. Yétian frottai, gréssai avec une couènne grasse peure laus faire brillâs . Pendant ce temps, dans la grande marmite en fonte noire suspendue à la crémaillère de la cheminée, le bouillon de cuisson, composé de divers légumes comme pour un potage, mijotait. Puis , les boudins y étaient déposés. Le bouillon devait frémir mais pas bouillir sous peine de faire éclater les boudins. Après cuisson, les boudins étaient déposés sur de la paille fraîche étalée sur une table puis, frottés et graissés avec une couenne pour qu’ils reluisent.
En plus d’laus boudins, las famnes préparian euci daus pâtées de foie et dâs andouilles. Laus pâtés queusiant din  dâs écoulelles de grès din l’four. Lâs andouilles, queutes euci din l’four, étian conservades din la greisse.  Qauquésunes étian maises din la dau pots peure ête gardades plus longtemps. En dehors des boudins, les femmes préparaient aussi des pâtés de foie et des andouilles. Les pâtés cuisaient dans des terrines placées dans le four de la cuisinière. Les andouilles cuites aussi au four étaient conservées dans la graisse. Quelques unes étaient placées dans du sel, dans des pots de grès afin d’être conservées plus longtemps.
Pendant tout queu temps laus houmes finissian de décaupâs l’goret. Las famnes peuvian récupérâs la pane de greisse et la greisse. Séparade de la couène et décaupade en p’tits dés au couté, la greisse éteu fondude din la marmite qu’aveu sevi peure laus boudins. Falleu sans cesse la remuadâs, pendant qu’elle queuseu, avec un baton qu’on aveu écaurçai. Une vé fondude la greisse éteu filtrade din une passoueire et lâs famnes récupérian laus résidus ; Hachai, salai, poivrai, peursillai, qué résidus dounerian daus bons grattons. Peursoune à queu moument penseu au cholestérol ! Une partide de la teite de goret, bouillide puis hachade et assaisounade permeutreu d’faire de bons pâtés d’teites. Las couènes conservades din d’la sau acoupagnerian laus plats de fayots. Pendant toutes ces activités les hommes achevaient la découpe du cochon en différents quartiers. Les femmes pouvaient désormais prélever la panne de graisse qui protège les reins et la graisse. Séparée de la couenne et découpée en petits dés à l’aide d’un couteau bien aiguisé, la graisse était fondue dans la marmite qui avait servie pour les boudins. Il fallait sans cesse la remuer pendant la cuisson avec un bâton fraîchement coupé, dont on avait au préalable enlevé l’écorce. Après cuisson la graisse était filtrée dans une passoire ce qui permettait aussi de récupérer les résidus non fondus. Hachés, salés, poivrés, persillés ces résidus donneraient de délicieux grattons. Personne à l’époque ne pensait aux méfaits du cholestérol ! D’ailleurs les efforts physiques nécessaires alors à toute activité agricole permettait bien vite d’éliminer les « mauvaises graisses » ! Une partie de la tête de porc, bouillie puis hachée et assaisonnée permettait la réalisation de succulents pâtés de tête. Les couennes conservées dans le sel accompagneraient les repas de haricots secs.
Enfin la viande décaupade, jambons, rôtis, plats de côte, éteu coinservade din dâs grandes tines, laus saloués, din plusieurs couches de sau accompagnade de laurier, de thym et de gausses d’ail. Malheur à la famne indisposade que s’approcheu d’la tine car la viande ne se conbserveureu pas. Au bout d’un mois laus jambons étian retirâs més à seuchâs din la cheum’nade. Quand yétian sei, yen a qu’laus mettian din un linge et laus déposiant din une bouette en lau recouvrant bien de cendre. Enfin, la viande découpée, jambons, rôtis, plat de côte, était conservée dans de grands pots de grès, les saloirs ou « tines », dans plusieurs couches de sel accompagné de laurier, de thym et de gousses d’ail. Malheur à la femme indisposée qui s’approchait de la « tine » pendant cette activité, car la viande ne se conserverait pas ! Après un mois de salaison, les jambons étaient retirés et mis à sécher dans un angle de la cheminée. Certaines familles préféraient, après séchage, les rouler dans un linge, les déposer dans une caisse en les recouvrant hermétiquement de cendre.
Tout quoqui prouve si besoin éteu, que « din l’goret yout est bon ! » Toutes ces préparations culinaires prouvent si besoin en était que «dans le cochon tout est bon».