La batteuse

Ya veu promé à M. Poussif qui f’reu quoq’chose sur las batteuses coume ya veu fait par le goret. Ya teindeuve peur m’y mettre mais y cré qu’aneu qu’é le bon moument. J’avais promis à M. Poussif d’écrire un texte en patois, sur le déroulement des batteuses comme je l’avais fait pour « Tuer le cochon ». J’en avais reporté la réalisation, mais je crois qu’aujourd’hui c’est le bon moment.
Y seu vengude au monde après la guerre, mais yai counegu las batteuses et yen ai fait quoquesunes même si qu’éteu parmi las dernières avec l’arrivade de las moisssouneuses batteuses que se généralisiant. Je suis née après la guerre, mais j’ai connu les batteuses et j’en ai fait quelques unes, même si c’était parmi les dernières avec l’arrivée des moissonneuses batteuses dont l’usage se généralisait.
Y peu déjà dire à los plus jeunes que liran quo, que las batteuses qu’éteu pas coume les feites d’été avec une charrette de jarbes à battre peur s’amusa. Quoqui qué une batteuse de mauvais folklore avec la locomobile et son sifflet tout le temps activa. Peur las dernières ya même pu de vaches à lias peur tira la charrette ! Je peux dores et déjà dire aux plus jeunes qui liront ce texte que les batteuses, ce n’était pas comme les fêtes d’été avec une charrette de gerbes pour s’amuser. Ces fêtes d’été offrent une sorte de mauvais folklore de batteuse avec la locomobile et son sifflet sans cesse activé. Pour ces derniers symboles de battage, il n’y a même plus de vaches à lier pour tirer la charrette.
Avant l’arrivade de laus tracteurs, qu’éteu bauco plus difficile. Peur tira la locomobile falleu plusieurs paires de bœufs, deux ou trois, davé das vaches mais falleu qu’elles seugessiant fortes. Falleu aussi que las beites ameniant la batteuse, la presse et las briquettes de charbon. Après coumenceu le calage de tout quo peur que tout fonctiuone bien le lendeman. Toute la jaurnade de battage une houme éteu attitrai peur chauffa, entret’nir, mette de l’aigue, surveilla la locomobile. Laus caus de sifflet douniant le moument dau départ, d’laus repas et de la fin le sèere. Quand qu’éteu peur la dernière maisou d’un village, un grand cau de sifflet prolongea , avertisseu laus voisins d’au village d’à couta peur que yateulian las beites peur na c’ha la batteuse. Quoqui on mou za raconta car, coume yau zai dit, yai pas counaigu. Qué « la cocotte » sur las beites en 52, l’arrivade daus tracteurs que dounerian l’arrêt de las locomobiles. Avant l’arrivée des tracteurs, tout était beaucoup plus difficile. Pour tirer la locomobile il fallait plusieurs paires de bœufs, deux ou trois, parfois des vaches mais il fallait qu’elles soient fortes. Les animaux devaient aussi amener la batteuse, la presse et les briquettes de charbon. Après commençait l’installation et le calage pour que tout fonctionne bien le lendemain. Toute la journée de battage un homme était chargé de chauffer, d’entretenir, de mettre de l’eau et surveiller la locomobile. Les coups de sifflets donnaient le moment du départ , des repas et de la fin le soir. Quand c’était le battage de la dernière maison d’un village, un grand coup de sifflet prolongé avertissait les voisins du village suivant pour qu’ils attellent les bêtes et viennent chercher le matériel de battage. Tout cela m’a été raconté, car, comme je vous l’ai dit, je n’ai pas connu cette époque. C’est la fièvre aphteuse sur les bêtes en 1952, mais aussi la généralisation des tracteurs qui ont marqué l’arrêt des locomobiles.
Quant à min, yai surtout counaigu las batteuses avec los gros tracteurs peur entraina . Las batteuses qu’éteu à la vé une feite et bauco de travail. La feite qu’éteu surtout peur laus gamins qu’atteindiant l’arrivade de la batteuse din le village. Oui , à queu moument , qui vous cause, yaveu enquère plusieurs familles par village que cultiviant la terre et laus gamins étiabt nombreux, las écoles ne froumiant pas. Quant la batteuse arriveu enfin, laus gamins se réunissiant peur gueta laus houmes tout installa. La batteuse arrivade, falleu la cala, la mette de niveau, ajusta la presse , mette las courroies peur entraina : que d’mandeu dau temps et falleu de l’éde pendant que laus gamins guètiant. Quant à moi, j’ai surtout connu les batteuses avec les gros tracteurs pour entraîner. Les batteuses, c’était à la fois une fête et beaucoup de travail. La fête c’était surtout pour les enfants qui attendaient l’arrivée de la batteuse dans le village. Oui, à cette époque dont je vous parle, dans un même village, beaucoup de familles cultivaient encore la terre et les enfants étaient nombreux, les écoles ne fermaient pas ! Quand la batteuse arrivait, il fallait la caler, la mettre de niveau, ajuster la presse, la mettre de niveau, mettre les courroies pour entraîner. Cela demandait du temps et il fallait de l’aide, pendant que les jeunes regardaient.
Laus jeunes atteindiant eussi laus repas de batteuse, ya n’ian de maison en maison car tout le monde se counesseu et s’entendeu. Yauri bien das choses à reverre sur quau aneu. Les jeunes attendaient aussi les repas de batteuse, invités le plus souvent de maison en maison car tout le monde se connaissait et s’entendait. Il y aurait aujourd’hui, beaucoup à revoir sur ce type de relation.
Peurtant par las fennes et par laus houmes qu’éteu at’ chose même si tout le monde éteu content de se retrouva. Las batteuses durevant un mois au moins chaque été, et après yaveu eussi la batteuse à trèfle ou peur le biené à l’automne. Pourtant pour les femmes et les hommes, c’était autre chose même si tous étaient contents de se retrouver. Les batteuses duraient au moins un mois chaque été, et après il y avait la batteuse pour le trèfle et le blé noir, à l’automne.
Laus houmes s’étiant entendu peur se rendre service, peur saverre qui qu’veneu à la batteuse et chez qui. Quéteu tous laus ans laus mêmes. Yaveu une habitude : quéqui qu’aviant étai battus laus derniers l’annade passade étiant battu laus premiers et ainsi de suite. Les hommes s’étaient entendus pour se rendre service, afin de savoir qui viendrait pour la batteuse et chez qui. En général les mêmes personnes venaient tous les ans. Il y avait une habitude : ceux qui avaient été battus les derniers l’an passé accueillaient les premiers le battage et ainsi de suite.
Le matin, laus houmes arriviant au fur et à mesure à pied ou à vélo, da vé en petarou mais pas souvent en auto. A leur arrivade y veniant tout de suite veire las fennes peur le café. Falleu saverre s’y veuliant dau sucre ou pas. D’une annade sur l’aute las fennes counessiant leur é gouts et ne deviant pas se trompa. Qu’éteu pas le moument , sinon la jaurnade coumencève mal. Quoquésuns preniant eussi une p’tite goutte din leur café. Qu’éteu de la gnole maison ! Le matin, les hommes arrivaient au fur et à mesure à pied ou à bicyclette, parfois en mobylette mais pas souvent en voiture. A leur arrivée, ils venaient tout de suite voir les femmes pour le café. Il fallait se souvenir s’ils voulaient du sucre ou pas. D’une année sur l’autre, les femmes connaissaient les goûts de chacun et ne devaient pas se tromper. Ce n’était pas le moment sinon la journée commençait mal. Certains prenaient aussi un petit peu d’eau de vie dans le café. C’était de l’eau de vie maison !
Après laus rôles étiant répartis peur la jaurnade même si chacun aveu plus ou moins son poste attitrai d’une annade sur l’autre. Yen aveu qu’étiant à déjarba, d’autes à engrena mais falleu pas feire jappa la batteuse, mais plutôt la feire ronrouna sinon yaveu das critiques. En bas laus porteurs de sas récupériant le grain et l’ameniant dain laus gueurnailles peur quou sèche. Peur laus jeunes y cré qu’é bon de rapp’la qu’un sa peuseu à peu près 80 kilos et falleu le porta sur l’épaule, marcha avec , monta las marches ou las échalles peur arriva au gueurnaille. Pendant queu temps d’autes s’occupiant de la paille : falleu la mettre à l’abri din la gringe ou aillours feire une meule. Yqui falleu daus spécialistes : la meule d’veu pas tomba ni prindre l’aigue. D’autes inquère s’intéressiant aux débris de paille ; y portiant laus ballos din daus draps faits souvent avec de la toile de vieux sas Après les postes de travail étaient répartis pour la journée même si chacun avait plus ou moins son poste attitré d’une année sur l’autre. Certains allaient dégerber, d’autre « engrener » mais il ne fallait pas faire « japper » la batteuse (avec un bruit saccadé, irrégulier), mais plutôt la faire ronronner (un bruit régulier), sinon les critiques pleuvaient. Au bas de la batteuse, les porteurs de sacs récupéraient le grain et l’amenaient dans les greniers pour le faire sécher. Pour les jeunes, je crois qu’il est bon de rappeler qu’un sac pesait à peu près 80 kilogrammes et qu’il fallait le porter sur l’épaule, marcher avec, monter les marches ou les échelles pour accéder aux greniers. Pendant ce temps d’autres hommes s’occupaient de la paille : il fallait la mettre à l’abri dans la grange ou alors monter une meule à l’extérieur. Ici, il fallait des spécialistes : la meule ne devait pas s’effondrer ni prendre l’eau. D’autres encore, s’intéressaient aux débris de paille ; ils portaient « les ballots » dans des draps réalisés souvent avec de la toile de jute de vieux sacs.
Tout le temps dau battage, un gros tuyau souffleu la balle din un tas. Las fennes récupériant de la balle d’avaine peur feire daus « matelas » peur laus p’tchios qu’étiant atteindus : qu’am’neu souvent das chineries peur quelqui quo feisiant. Tout le temps du battage, un gros tuyau soufflait la balle dans un tas. Les femmes récupéraient de la balle d’avoine pour faire des matelas pour les futurs bébés, ce qui amenait souvent des plaisanteries de la part des hommes.
Mais justement que feisiant las fennes ? Elles manquiant pas de travail yelles eussi. La veille falleu na cha laus légumes din laus champs et laus prépara le plus souvent. Laus jeunes étiant récupérai peur écossa laus faillos. Falleu un plat peur huit batteurs. Fau se rapp’la eussi que falleu t’choua laus jaus, laus lapins selon las familles. Yen a qu’achetiant dau bouilli, de la téte de veau ou de la fraise. Ya veu pas encore interdiction de mangea de la fraise et qu’éteu bien bon ma fois. Quand ya veu une batteuse d’une jaurnade ou plus din une méson qu’éteu pas rare de t’choua un veau ou un mauton. Din que cas le boucher se déplaceu peur t’choua et décaupa la béte. Pendant longtemps falleu aussi chauffa le four peur fére queure le pan et daus gatés. Mais justement, que faisaient les femmes ? Elles aussi ne manquaient pas de travail. La veille il fallait aller chercher les légumes dans les champs et les préparer le plus souvent. Les jeunes étaient « embauchés » pour écosser les haricots. On comptait un plat pour huit personnes. Il faut se rappeler aussi qu’il fallait tuer les coqs, les lapins selon les familles. Certains achetaient du pot au feu, de la tête ou de la fraise de veau. Il n’y avait pas encore l’interdiction de manger de la fraise de veau, et c’était bien bon, ma foi. Quand le battage durait une journée ou plus dans la même maison, il n’était pas rare de tuer un veau ou un mouton. Dans ce cas le boucher se déplaçait pour tuer et découper l’animal. Pendant longtemps aussi, il a fallu chauffer le four pour cuire le pain et les gâteaux.
Peur prépara et servir laus r’pas las familles , laus vouésins s’entrediant : y se prétiant das marmites, daus plats, das assiettes , das quillères et das fourchettes. Peur las batteuses d’une jaurnade ya veu 3 repas et pendant un mois d’une mésou à l’aute laus houmes mangiant plus ou moins la même chose. Pour préparer et servir les repas, les familles, les voisins s’entraidaient en se prêtant des marmites, des plats, des assiettes, des cuillères et des fourchettes. Pour les batteuses d’une journée trois repas étaient prévus, et, pendant un mois, d’une maison à l’autre, les hommes mangeaient plus ou moins la même chose.
Laus plats laus plus servis, surtout le serre étiant daus civets , daus ragouts, das viandes rotides, das vé das omelettes, dau bouilli, dau bouillon au vermicelle. Ya veu tout le temps dau froumage même si tous les houmes ne l’aimiant pas. Quoques froumages bien s’sés, fé à la mésou, étiant pleugeais din daus linges humides, roulais din la cendre puis mé à feire din un toupi per la batteuse. Qu’éteu daus vrais froumages de pays bien parfumas. Peur las salades falleu enquère feire attention, prépara daus plats séparai : y’en a qu’aimiant pas l’ail. Les plats les plus servis, surtout le soir, se composaient de civets, de ragouts, de viandes rôties, parfois d’omelettes, de pot au feu, de bouillon au vermicelle. Le fromage était toujours présenté même si tous les hommes ne l’aimaient pas. Quelques fromages bien secs, réalisés à la maison, étaient pliés dans des linges humides, roulés dans la cendre puis mis « à faire » dans un pot de grès en vue de la batteuse. Il s’agissait de vrais fromages bien parfumés. Pour les salades, il fallait encore faire attention, préparer des plats séparés, car certains n’aimaient pas l’ail.
Qu’éteu eussi l’habitude, une vé par jour de servir l’apéritif. Qu’éteu partout dau Pernot. Las fennes versiant un petit verre à goute din chaque verre. Y m’suvins aveire vu daus houmes versa leur verre d’apéro din leur vermicelle : une forme de chabro. Une fois par jour, l’apéritif était servi. Toutes les maisons servaient du Pernot. Les femmes versaient un petit verre à digestif pour chacun. Je me souviens avoir vu des hommes verser leur verre d’apéritif dans leur vermicelle : une forme de chabro.
Durant tous qué jours, malgré la fatigue, las fennes et laus houmes étiant gais, chantiant, plaisantiant . Peurtant qu’éteu dur peur tout le monde. Las fennes peiniant avec la chaleur peur feire la cuisine et laus houmes transpiriant toute la jaurnade sous l’effort das vé sous l’aigue. Durant tous ces jours, malgré la fatigue, les femmes et les hommes étaient gais, chantant et plaisantant. Pourtant c’était un dur labeur pour tout le monde. Les femmes peinaient avec la chaleur de la cuisine et les hommes transpiraient toute la journée sous l’effort, parfois sous la pluie.

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