Conclusion sur l’époque de création de la Terre aux Feuilles

Conclusion de M. le Commandant Martignon dans le bulletin de la société Archéologique et historique du Limousin (tome XCII)

De tout ce qui précède, il semble que l’on puisse tirer les enseignements suivants :

La région, connue sous le nom de Terre aux Feuilles et représentée de nos jours par la partie du canton de Saint Sulpice Les Feuilles comprenant les communes de Saint Sulpice, des Grands Chézeaux, de Saint Georges Les Landes, de Mailhac, de Cromac, et d’Arnac, appartenait, aussi loin que nous puissions remonter dans l’histoire du haut Moyen-Age, au territoire de Brosse, aujourd’hui petite localité de l’Indre.

D’après Le Laboureur, des Vicomtes particuliers de Brosse auraient existé avant ou dès le début du Xe siècle, puis la fille de l’un d’eux ayant apporté Brosse vers 960 à son époux, Géraud ou Gérald, Vicomte de Limoges, la Vicomté de Brosse resta entre les mains des Vicomtes de Limoges jusqu’aux environs de 1036-1080. Dès 1080, en effet, Brosse appartient à un Vicomte particulier issu d’une branche cadette de la maison des Vicomtes de Limoges et qui sera l’ancêtre de la famille féodale des « de Brosse ».
La Vicomté de Brosse comprenait alors quatre châtellenies, celles de Chaillac, de la Châtre au Vicomte et de Vouhet (dans l’Indre), ainsi que celle de Mondon (dans la Haute-Vienne).
C’est cette châtellenie de Mondon qui, détachée de la Vicomté de Brosse (certainement avant le XIIIe siècle, peut être dès la fin du XIe), va devenir la Terre aux Feuilles.
Cette châtellenie, qui comprenait six châteaux, ceux de Mondon, de Piégut, des Chézeaux, de Solignac, d’Oreix, de La Vau (qui deviendra plus tard La Vau-Pot) et six paroisses, celles de Saint Sulpice, des Grands Chézeaux, de Saint Georges Les Landes, de Mailhac, de Cromac, d’Arnac (qui en sera détachée en grande partie vraisemblablement entre 1401 et 1449), appartient au début à un seul seigneur, de la maison féodale des Feuille ou, mieux, La Feuille, maison issue vraisemblablement de celle des Vicomtes de Brosse. Dans la suite, cette Châtellenie se divise en plusieurs parts appartenant à divers membres de cette famille « La feuille » et nous retrouvons par exemple aux mains de cette dernière Mondon (avant 1277) ; Piégut (avant 1298) ; La Vau (avant 1406).

C’est alors que la région, ancienne Châtellenie de Mondon, devenue possession de plusieurs membres de la famille Feuille ou La Feuille, prend le nom de Terre aux Feuilles, et cela bien avant 1254. Ce nom de Feuille ou La Feuille avait à l’origine un surnom, et un acte de 1112 mentionne un Isambert dit La Feuille (Isambertus cognomento Folium).
Ces La Feuille étaient vraisemblablement issus de la maison des Vicomtes de Brosse ; en tout cas, ils en étaient certainement des familiers, et cela depuis 1120 au moins. Ils constituaient une opulente famille de chevalerie, possessionnée dans ce qui est aujourd’hui la Haute Vienne et aussi dans l’Indre et la Vienne ; alliée aux maisons féodales des de Lignières, de La Rippe, du Breuil, de Nailhac, Pot, Aubert, etc… et qui fournit des prieurs et des abbés au monastère d’Evaux (Creuse) et aux abbayes de Bénévent (Creuse), de Nouaillé (Vienne) et du Dorat (Haute Vienne).
La première mention que nous connaissions de cette famille aujourd’hui disparue est de 1120 ; la dernière de 1406.
Mais si cette famille, jadis puissante, est éteinte depuis longtemps, elle se rappelle cependant à notre souvenir grâce à son nom qu’elle a transmis au territoire qui lui appartint jadis : à la Terre aux Feuilles.

Ce terme, que nous rencontrons depuis 1254, est employé officiellement jusqu’en 1482 au moins et il continue, de nos jours encore, à être usité pour désigner grosso modo la région constituant le canton de Saint Sulpice Les Feuilles. (En réalité, il ne devrait comprendre que les communes de Saint Sulpice, des Grands Chézeaux, de Saint Georges les Landes, de Mailhac, de Cromac et d’Arnac). Ce nom se perpétua en outre, d’une part grâce à celui de la localité de Saint Georges qui s’appela Saint-Georges-Terre-aux-Feuilles jusqu’aux environs de 1402, puis Saint Georges-aux-Feuilles jusque vers 1504, avant d’être remplacé par celui de Saint-Georges-des-Landes (1524), puis enfin de Saint-Georges-Les-Landes (1581). Il se perpétua d’autre part, et jusqu’à nos jours, grâce au nom de la localité de Saint Sulpice Les Feuilles, qui s’appela d’abord Saint-Sulpice-Terre-aux-Feuilles (depuis 1404 au moins et jusqu’au XVIIIe siècle), ensuite (à partir de 1547 environ et concurremment avec la forme précédente jusqu’au XVIIIe siècle) Saint-Sulpice-Les-Feuilles, nom officiel du chef-lieu de canton actuel. C’est ainsi que, de nos jours encore, de cette famille « Feuille »ou « La Feuille », un canton du département de la Haute Vienne, Saint Sulpice Les Feuilles, a retenu le nom. Il nous a donc paru curieux de rechercher les origines de cette Terre aux Feuilles « petite région intéressante à plus d’un titre », « frontière d’entre Marche, Berry, et Poitou soumise à des attractions divergentes », parcelle de la Haute Vienne ayant conservé un caractère propre, une originalité singulière, « pays hydride qui se rattache par son sol granitique et ses aspects variés au Limousin, par son patois au Berry, par sa législation ancienne, sa coutume, au Poitou ». (Drouault p. 7)