La légende du loup dans les Monédiaires.

Ainsi se déroule le film du loup, net et vivant, dans le souvenir de la vieille femme d’aujourd’hui. Que d’émotions au cours de cette vie de bergère à cause de cet avide mangeur de moutons !…Pauvre petite Maria !

Il arrivait même parfois que la gardienne du troupeau se battait avec le loup pour lui faire lâcher prise. C’est ce que fit la Louise de chez Besse du village de Freysselines.

Le loup à portée de la main, vient  de lui saisir une brebis. Elle empoigne vigoureusement sa bête par la peau du dos souple et épaisse. De sa main restée libre, elle se met à frapper sur le long nez du loup à tours de bras, avec sa quenouille qui se casse, avec sa verge de bouleau qui se brise et, ne disposant de plus rien, avec sa coiffe de bergère ! Le chien de son coté, serre de près l’adversaire. La peau de la brebis tirée de part et d’autre commence à se déchirer. Finalement, le loup se sauve, la brebis est délivrée, mais la Louise, après cette lutte, reste muette et agitée pendant tout le reste du soir.
Certaines bergères, assure-t-on, savaient « enclaver » le loup, c’est à dire l’empêcher de nuire, telle la Miote de Maurianges et d’autres personnes dont on cite encore les noms.

 – Miota, ve lou loub que mounta d’alen 
 – Laissa lou venir, Franceta, e n’ajas pas paur… Auves, la bestia, n’a pas chabat de la badar.

Le loup arrivait en effet dans le troupeau, la bouche grande ouverte. Mais il avait beau essayer de faire le geste de mordre, ses mâchoires ne fonctionnaient pas. Il était «enclavé »… Et si la bête tenait sa proie, aussitôt la laissait-il tomber.
Pour être délivré du charme, le loup devait traverser un chemin utilisé par les chars à roues ferrées, lequel était aussi le chemin de la messe, ou bien sauter par-dessus le ruisseau ou encore passer au croisement de deux chemins.
Le secret utilisé pour exorciser le loup était bien gardé par les bergers ou les bergères qui le détenaient. Ceux-ci savaient, en effet, que tout pouvoir, une fois transmis, était définitivement perdu pour eux. Voici cependant dans quels termes la Miote devait s’adresser au loup.

 – Loub ou louba 
 – Laissa aquel trouplet de voulhas 
 – Que ne son pas tuas ni mias 
 – Son de sent Laurens 
 – Que te druebe la boucha e t’enclave las dents.

Dans certains cas, assure t-on, le loup s’en prenait à l’homme…Les anciens  se souviennent assez vaguement il est vrai de quelques-uns de ces événements dramatiques survenus çà et là, et qu’ils avaient entendu raconter. Ainsi à l’Aigue-Panade, au moment de grands froids, les loups avaient dévoré un soldat, ne laissant de lui qu’une jambe et les pantalons rouges…Ailleurs ils avaient emporté une fillette dont on n’avait retrouvé que les sabots.
Il est tout à fait exact que le loup suivait les voyageurs durant la nuit, les abandonnant à l’entrée d’un village pour les retrouver à la sortie : combien de nos ancêtres ont ainsi vu se mouvoir dans la nuit la forme inquiétante du loup? L’un d’eux venant du village de Monédière, à la nuit tombée, fit en partie le trajet à reculons  afin de surveiller le dangereux compagnon à quatre pattes qui marchait à quelques mètres de lui. Si l’homme était tombé sur le chemin, il est sûr que le loup l’aurait dévoré.
Quand les armes à feu eurent remplacé les fourches entre les mains de nos pères comme moyen de défense, les loups se montrèrent moins hardis et surtout peu à peu leur nombre diminua…
Dans certains endroits, de véritables chasseurs de loups contribuaient largement à la libération du pays. On se souvient encore de Baptiste Florentin, du Bos, dit « lou loubatou », qui avait abattu une centaine de loups.
Comme il vivait à proximité des repaires, il connaissait les mœurs de ces bêtes, et savait à quels moments la louve pouvait avoir mis bas. Assez souvent, il était parvenu à dénicher les petits. Une fois, notamment, après avoir  porté les louveteaux chez lui, il entendit la mère hurler si rageusement que, pris de peur, il se hâta de les assommer, craignant de voir la louve se frayer un chemin à travers le toit de chaume de sa maison.
Le chasseur de loup touchait une assez bonne prime pour chaque bête abattue : cent francs pour le mâle et cent vingt francs pour la femelle. De plus, il montrait ses victimes dans les villages, les transportant à dos d’âne, et recevait ainsi de la laine ou bien quelques denrées.
Des pauvres ou pauvresses qui cherchaient leur pain conduisaient des loups avec eux pour forcer la générosité des gens, menaçant même les troupeaux de la dent de leur animal.
Antoinette Cheze se rappelle avoir vu une femme, « la couijaloub », avec sa bête, assise sur le seuil de l’église de Chaumeil. Mais ajoute-t-elle, son loup n’était peut-être qu’un chien-loup.
Il se peut que bien antérieurement à ces faits, les meneurs de loups aient été considérés comme sorciers ou se soient comportés comme tels, ce qui les rendait encore plus redoutables.
Et l’on tendait aussi des pièges aux loups : là où l’on connaissait ses passages, on s’improvisait trappeur pour la circonstance. On raconte ainsi à ce sujet une aventure bien connue, qui a failli coûter la vie à un tailleur « lou talhuer » Marsau, de Grand-Saigne.
Il s’en allait travailler dans les villages et un soir d’hiver, voulant achever son ouvrage, il prolongea la veillée plus que de coutume chez son client. Or, dans  la nuit il se trompe de chemin, ayant pris le sentier du loup, il tombe dans la trappe, « dins lou cros loubatier ». Au même moment, le loup arrive et le malheureux tailleur voit se profiler au bord de l’orifice cette silhouette noire sur le ciel sombre. Sa seule ressource est de saisir ses ciseaux qu’il emporte toujours avec lui et de les faire manœuvrer vivement à la face de l’ennemi.
Le loup intrigué par ce cliquetis, n’ose pas s’approcher plus, mais assis sur son derrière, il reste là en observateur pendant tout le reste de la nuit..
Ce furent les premières lueurs  du jour qui délivrèrent le pauvre homme. Il sortit comme il put de son trou et jura que plus jamais il ne se retarderait chez ses clients.
Le dernier loup des Monédières fut tué au pied de La Jarrige, à proximité de Malfond, probablement vers  1895  par Linet Chazalviel.
Plusieurs témoins peuvent encore raconter l’événement.
On entend Linet qui appelle :

 – Au Janelhou ! …Au vo…ieu vene de tuar lou loub…Mena l’ase que lou pourtem à Chaumelh.

Le loup est placé à califourchon sur le dos de l’âne et, via Maurianges, l’équipage gagne le bourg.
A Chaumeil, la nouvelle se répand  et les curieux accourent. On admire la bête, un beau mâle !… Cent francs de prime sans compter la valeur de la peau ! Pensez donc !… A l’époque, c’était une bonne aubaine.

 – Auves Janelhou, toun loub a vint sestiers de blat jous la coa, te…

Vingt setiers, c’est à dire huit sacs de blé au moins que l’on aurait avec l’argent du loup…Il fallait bien trimer là-haut sur la pente de la montagne pour défricher une étendue pouvant donner une telle quantité de grain !
Et Linet, heureux et fier, raconte son beau coup de fusil.
 – Leu era poustat darrier lous rocs e veze mas venir moun loub dins lou sendarel de las bargieras…Li t’alueme mous dous cops : pin ! pan !…Lou loub toumba aqui… M’apraune bouci per bouci e quand sei mas a dous ou tres pas, aqui as moun loub que se quilho e que druebe la gula tant que pod. 
 – Doussament, vo ! 
Lou  loub se sieta. Adounc, li t’engulhe lou canou de moun fusilh trusqu’al de la cournhola.

Et, on écorche la bête. Puis on bourre la peau de paille mâchée et on lui refait des yeux avec le fond arrondi des tessons de bouteilles. Le loup ainsi reconstitué se voit cloué par les pattes de derrière au tronc du Sully de la place publique ! Dans cette position sans doute fort risible, il reçoit encore force visites et une abondance d’injures.

 – Venetz veire la barra del loub qu’es penduda al mai… 
 – A la sala bestia ! lou jan-foutre !…Lou gus ! Lou lairou ! Lou brigand ! La vesse ! Lou vessard !

Enfin, la peau du loup achetée par M.Chauzeix, du petit village du Mazeau, devint descente de lit dans la chambre qu’occupait le général Billot quand il rendait visite à son cousin…

En mars 1925, on a cru, dans nos régions, voir réapparaître ces mauvaises bêtes…Les  journaux ont signalé leur passage notamment dans les communes de Chaumeil et de Sarran. Et dans un de ses poèmes, Jean-Baptiste Chèze a crié une nouvelle fois «  Au loup », rétablissant ainsi l’atmosphère du temps  passé :

 – Et loup – Soullevatz-vous las peiras ! 
 – Sautatz daus carres lous bastous ! 
 – La bestia es dins las Mounedieiras, 
 – Voulatz counoulhas e soutons !

Et loup ! – Pren toun fuzilh, bourrota ! 
Drolla, para toun anhelou ! 
Et loup, Marti !Et loup,,, Janota ! 
Et loup ! Et loup ! Et loup ! Et loup !

Certes , dans le domaine de ses ancêtres, la situation n’était guère favorable à ce nouveau venu…

– Aici…Aici, o loup, moun paubre ! 
Res n’a chanjat, mas quasi tout, 
Qu’ei lou mouton que tuava l’aubre ; 
Anam tuar lou darrier mouton.

Pus d’anhelous, pus de boumbansa… 
Te  veze pas viure de gru…

Le loup est donc  parti et depuis nul ne l’a jamais revu…A ce « vieux  rôdeur de nuit », ce « métayer à la maigre échine », il ne restait plus qu à rentrer dans la légende.